Aujourd’hui, tu n’avais pas envie de travailler. C’est pour cette raison que dès le milieu de la matinée, ton grand-père a commencé à te chercher et à soulever le moindre caillou du littoral pour te retrouver. Pauvre Papy qui était bien loin du compte, puisque quand tu es décidé à profiter simplement d’une journée aussi ensoleillée que celle-ci, tu es extrêmement dur à rattraper. Si dur qu’en vérité, il n’a pas vu l’ombre de ta frimousse. Tu ne lui as même pas fourni le plaisir de cracher ton prénom avec véhémence, puisque tu n’es jamais apparu devant son nez depuis la levée du soleil. Emiliano Àlvares a finalement jeté l’éponge, poussé par la trotteuse qui avançait plus vite que ses filets ne se remplissaient et qui a donc été rappelé par son devoir.

Tu peux être certain que lorsque tu rentreras ce soir, il va t’accueillir comme il se doit. Il est même possible que tu sois privé de repas.
Alors profites.

Profite de cette plage et de cette animation. Ton chapeau de paille vissait sur ta tête, tu as cet air benêt sur ton visage. Tu regardes ce qui s’y passe, tes fesses bien calées dans le sable chaud, tes tongs à côté de tes pieds. Tu viens de sortir de l’eau, car tu t’es accordé une pause glace, que tu es en train de croquer sans craindre les désagréments qu’elles peuvent provoquer au contact de la maille dentaire. Tu laisses ta peau profiter des rayons du soleil. À force de passer du temps à l’extérieur, elle n’a plus peur. Elle traite même la météo comme une véritable amie. Ta chemise rouge est roulée en boule par-dessus tes tongs, quasi laissée à l’abandon tant elle t’est inutile pour le moment. La froisser est le dernier de tes tracas, car tu n’es pas ce genre de garçon à geindre dès qu’un faux pli apparait sur ses vêtements.

Ce sont des éclats de rire qui attirent ton attention. Tu cherches du regard la source et tu finis par prêter attention à l’étrange monticule ressemblant vaguement à un bonhomme de sable. Ce qui t’intrigue, car l’idée est originale. D’ordinaire, ce sont plutôt des châteaux de sable que tu vois être réalisé. Sans gêne, tu te lèves et tu t’approches. Ce n’est qu’à proximité de cette fille blonde que tu remarques enfin qu’elle n’est pas seule. Qu’il y a un bébé avec elle. Tu n’avais pas immédiatement remarqué, parce qu’elle était en grande partie caché par cette œuvre d’art original.
Tu t’accroupis à côté du bonhomme de sable, le bâtonnet de glace coincé entre tes dents, il ne reste plus rien dessus d’ailleurs, et tu poses le doigts sur le bonhomme de sable pour élargir son sourire. « Salut ! J’ai pas pu m’en empêcher, désolé d’avance. C’est une trop bonne idée, ça change des châteaux ! » Ton sourire s’agrandit à toi-aussi et tu les abordes sans trop te soucier de savoir si ça allait les déranger ou non. Il est presque aussi grand que celui que tu viens d’élargir sur la “bonnefille”, ce qui, mis côte-à-côte, pourrait presque ressembler à une copie.

« J’lui aurais rajouté une jupette. En feuille là, comme les danseuses hawaïennes. » Proposes-tu pour rajouter une touche supplémentaire de “girly” à cette petite bonne femme de sable.

Tu fais fît de cette intrusion et tu n’as aucune mauvaise intention. Ni mauvaise pensée. Ça ne t’aurait même pas traversé l’esprit. Au point que tu es totalement aveugle à cette méfiance que tu inspires. Toujours accroupis, tu écoutes la jeune fille, qui a à peu près ton âge à vu de nez, répondre à ta proposition par un rire. Cependant elle soulève un point non négligeable auquel tu n’avais pas du tout pensé. « Ah non, j’en ai pas… Mais j’peux t’en trouver ! »  Dis-tu avec une aura solaire. La solution est d’une simplicité déconcertante sur le papier. Des feuilles, ça reste facile à trouver dans le coin. Sans avoir besoin de faire des mètres en plus de cela. Étant donné les installations estivales au bord de cette plage, un aller-retour vers celles-ci suffira à trouver ton bonheur pour une si petite création.
Mêlé à ce petit groupe de ton plein gré, tu vois arrivé cette autre femme, à peine plus âgée que vous trois, et dire des choses qui sont ; intrigantes. Des choses sur lesquelles renchéries la blonde avec le bébé par des propos tout aussi intrigant. Tu clignes plusieurs fois des yeux, mais tu n’es pas contrarié par cette étrangeté. Au contraire, tu as un sourire, un peu idiot certes, mais curieux. Tu as la drôle de sensation que ce n’est pas totalement impossible ou improbable.

« Du coup toi, t’as connu un bonhomme de sable-neige vivant qui ressemble à cette fille ? » Ce n’est pas très poli, mais tu pointes du pouce Olivia pour désigner la fille en question, alors que tu poses la question à l’autre, plus pâlotte que la première. Tu as tout mélangé et si tu te trompes, tant pis. Tu resteras sur l’idée que des bonhommes de neige ou de sable, ça prend vie quelque part dans le monde, ce qui te donne encore plus envie de le parcourir.

Tu suis le ballon du regard. Celui-là même que Madame Bonhomme de Neige a détourné pour éviter un accident avec la petite, et tu le vois atterrir dans la pagode où avait pris place une autre femme.

Tu ne te soucis pas trop de son sort, en bon rustre que tu étais, tu n’es pas le plus gentleman de l’île, parce que tu venais d’avoir une idée. Pour tes feuilles. Tu es resté sur cette idée fixe. Ce bar de plage, il doit bien avoir des plantes ou des feuilles, pour enjoliver ses cocktails ? Alors tu t’y diriges et tu dépasses même les deux femmes. Tu fais le tour et tu finis par trouver les feuilles en question. Des feuilles de menthe, prévu à l’origine pour des mojitos, mais tu n’as aucun scrupule à priver le barman de celle-ci. Tu profites même que son attention soit détournée de toi, à cause de l’accident du ballon, pour en prendre une bonne poignée.
Avant de te faire prendre, tu ne tardes pas à t’éloigner de la pagode et de retourner près du bonhomme de sable. « Je les ai, mais par contre j’sais pas comment les mettre… » Une pensée qui t’échappe, alors que tu ne sais pas comment les faire tenir autour de la taille ronde du bonhomme en question. Tu n’avais pas pensé à ça.