I wanna go back to the Sunny! ∞ Luffy

Des râles semblables à ceux d’un zombie sortent de ta bouche, alors que tu traines ta misère, à moitié endormi. Le pilotage automatique est mis depuis deux bonnes heures et malgré cela, tu ne reproches rien à ton papy. Ou presque. Le réveil à une heure du matin pour aller chercher de quoi assurer le marché d’aujourd’hui, il pique. Tu es certain qu’au fond de toi, c’est une forme de punition pour avoir découché il y a trois jours sans le prévenir de quoi que ce soit. Tu as changé d’avis pour autant ? Non. Tu ne lui as rien dit. Tu ne veux rien lui dire d’ailleurs, parce que tu sais déjà comment il va réagir si tu le lui avouais. À la place, tu préfères habilement éviter le sujet et faire des vagues, même si ce coup-là ; ça va se payer.
Tu laisses le soin aux portiers d’amarrer le bateau et tu passes par-dessus le bastingage d’un bond agile pour rejoindre le quai du port. D’un coup, tu as une énergie débordante et insoupçonné, mais ce n’est qu’un pique qui se dissipe bien vite lorsqu’on commence à te mettre dans les mains. La première a même manqué de te faire tomber, tant le poids soudain t’a fait penché en avant. Lorsque l’on t’annonce qu’il s’agit de la dernière, tu pousses un soupir de soulagement.

Yes ! C’est fini, j’vais pouvoir …  - “Hep hep hep ! Tu crois aller où comme ça ?! Si tu crois que j’vais te laisser tirer au flanc, tu t’trompes, sale mioche !” – « Pépé, arrêtes ! Lâche-moi, vieux schnock, tu veux m’tuer ou quoi ?! Puis j’ai fait mes heures là, j’ai l’droit d’aller me reposer. » Tu gigotes, mais sa poigne est puissante pour son âge. Tu es tenu par le col de ta chemise, tes tongs ne touchent plus le sol et tu ressembles davantage à un chaton dissident dans les griffes d’une panthère, qu’à un empereur des mers. Malgré tout, tu ne démords pas. Tu grommèles, tu te plies en quatre et finalement, tu trouves une solution simple ; Tu te laisses glisser en dehors de ta propre chemise. Si ton débardeur ne suffit pas, tu comptes bien te réchauffer à courir pour lui échapper.

As-tu vraiment besoin de repos ? La frustration a laissé d’une piqure d’adrénaline et tu te mets à rigoler en voyant ce drôle de tableau, tandis que Papy Àlvares bouillonne en voyant ton insubordination. Il retente de t’attraper, mais cette fois-ci tu t’y attends, alors tu esquives et tu te faufiles hors de sa prise, entre les caisses entreposées. Tu en profites pour remonter sur le bateau et aller chercher ton casse-croûte, avant qu’il t’en prive. Puis tu redescends en usant d’un cordage, comme un petit macaque malicieux.

Enfin, tu le voies. Cet homme là-bas, qui te fixe.
Tu sens ton cœur se serrait, mais tu ne sais pas pourquoi. Des gens tristes, tu en croises beaucoup sur le port. Surtout en fin de journée, comme s’ils cherchaient à ce que la mer les réconforte. Ce que tu ne juges pas ; Toi-même, c’est ce que tu fais. Pourquoi lui, c’est différent ? C’est la même sensation que tu as, quand tu vas voir Law. L’impression désagréable de passer à côté de quelque chose. Tu restes qui tu es, tu ne t’attardes pas. Si tu veux des réponses, c’est auprès des gens qu’il faut aller les chercher. Tu laisses papy tourner en rond sur son propre bateau, puisqu’il ne t’a pas vu en ressortir et tu t’approches de ce gars bien habillé. « Salut ! J’vais peut-être me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais... » tu t’interromps et tu tapes un croc dans ton sandwich : « C’est qui “Luffy” ? C’est une espèce de poisson ? On n’en a pas, enfin j’crois ? Par contre y’a plein d’autres trucs si t’en veux. J’t’ai entendu vouloir acheter. » Tu ne perds pas le nord. Tu termines ton casse-croûte, tu te débarbouilles grossièrement avec ton avant-bras et tu te mets à ricaner. Tu viens d’avoir une idée ; S’il t’achète tout le stock que vous avez ramené, Pépé aura fait son chiffre et il te foutra la paix.

« Tu n’veux pas tout prendre ? Comme ça, l’vieux me fout la paix et j’peux aller dormir, manger, re-dormir, peut-être faire un détour à la plage… J’connais pas les prix par contre, c’est pas moi qui décide et j’suis mauvais commerçant, à ce qu’il parait. » Si tu n’avais pas la fâcheuse tendance à tout donner gratuitement, on reconnaîtrait certainement ta valeur de vendeur plus facilement. « Faut aller voir le vieux grincheux, là-bas. » dis-tu en pointant du doigts ledit vieux grincheux qui n’est autre que Papy, qui remarque enfin ta présence. Il roule en boule la chemise que tu lui as laissé dans les mains et te la jette dans le dos si fort, que tu manques de t’étouffer. Ça ne t’énerve pas pour autant, ça te fait rire. Il te reste peu de temps avant que sa main patriarcale te saisisse à nouveau, mais tu tends ta main vers le garçon : « Moi c’est Miguel, et toi ? »

Tu tousses à cause de la fumée de la cigarette, puis tu geins en sentant le choc sur ta tête dénudée. « Aïe ! » laisses-tu échapper de ta bouche, tout en grimaçant de douleur. Tu n’es pas élastique, toi. Tu sens bien les chocs sur ta carcasse, car elle ne se ramollie plus pour les amortir. Ton sourire est mis en berne quelques secondes. Le temps de ronchonner des propos incompréhensibles et donc, pas très importants. Rien d’utile à comprendre.
La rancune est très vite oublie. C’est à peine si elle a eu le temps de traverser ton esprit. La remarque est perspicace. Tu te retournes et tu vois qu’en effet, vous avez fait une belle récolte. Porter tout ça jusqu’à son restaurant, tout seul, ça serait un exploit surhumain. « C’est vrai maintenant que tu le dis. Je n’les avais pas comptés. J’étais surtout pressé de finir. » Tu te grattes l’arrière du crâne, ébouriffant un peu plus ta tignasse noire.  Pas de couvre-chef sur ta tête. Pas de chapeau de paille. Rien. Tu n’en es pas inquiet, parce que dans cette vie, ton précieux chapeau ne t’appartient pas. Il a un autre propriétaire. Une autre histoire, lui-aussi. « Sanji, hein … » Ça t’évoque quelque chose. Tu as un tic, tes yeux clignent et d’un coup, tu te concentres sur autre chose. Un bon mal de tête se pointe et tu soupires.

La fatigue sans doute. Ouai la fatigue, ça excuse beaucoup de chose.
« De quoi ? Je … » Ce n’est pas le premier à te poser cette question. Il te l’a posé aussi, Law. Enfin “poser” ; Il l’a évoqué, en soupirant lui-aussi. Comme avec lui, tu ne te sens pas bien d’un coup. Ton ventre se sert et tu es mal à l’aise. Ce n’est pas vraiment de la faute de Sanji. C’est juste ; Une réaction naturelle, tu supposes, quand ta tête ne va pas bien ou que tu te sentes à côté de tes tongs. « Désolé. Je … Je n’suis pas très physionomiste, alors j’ai du mal à retenir les têtes de tous les gens que j’croise. J’t’ai déjà piqué un truc ou bousculé dans la rue ? » Ça doit être ça. Un type random que tu as croisé lors de l’une de tes virées avec Pearl et il a moyennement apprécié. « À moins qu’on se soit battu ? » Franchement, c’est tout autant possible. Tu t’emportes tellement vite pour tout ou rien du tout que tu t’es fait pas mal d’ennemis chez les petites frappes du port.

Ça ne doit pas être ça. Autrement, il ne marcherait pas dans ta proposition. Même si ce n’est que la moitié, c’est déjà énorme. Plus que l’entièreté de tes ventes jusqu’à ce jour. T’en oublie la condition à savoir, porter à nouveau ces caisses. Tu t’en fiches, puisque tu as un repas gratuit offert en plus de ça. Ton ventre se détend. Il se met même à gargouiller, répondant ainsi avant ta propre bouche à la proposition du cuisto. « Carrément ! En plus, j’meurs de faim ! J’ai rien avalé depuis hier midi ! » Il peut même le déduire de la note, ton repas. Le plus important, c’est que ton estomac ait enfin quelque chose à se mettre sous la dent. Ça te fait rire, parce que ça ne t’empêchera pas d’aller vider le frigo de Law pour autant. Tu t’étonnes d’ailleurs de t’être retenu de le faire depuis hier midi.

Probablement parce que Papy ne t’a pas laissé l’occasion d’y aller aussi.

Tu regardes autour de toi et tu te dis que personne ne t’en voudra d’emprunter le transpalette pour réduire le nombre d’aller-retour jusqu’au restaurant. Manuel. Électrique, tu ne le sens pas. Tu serais bien capable d’empaler quelqu’un par erreur avec. Tu fais donc preuve d’ingéniosité, un éclat comme tu en as le secret quand la situation commence à te paraître pénible, et tu poses les caisses dessus pour ne faire qu’un voyage. Deux grands maximums. « T’es un gars sympa ! Ce n’est pas souvent qu’on me propose de me faire à manger. Bon sauf Papy, mais lui il le fait parce qu’il n’a pas le choix s’il veut manger aussi. » À propos de ce dernier, il réalise enfin que tu es sur le quai et non plus sur son bateau. Le vieil homme musclé se dresse sur le bastingage et vous toise tous les deux. Qu’est-ce que tu fais encore ?! N’importune pas les honnêtes gens. – « Je l’importune pas, je parle affaire ! » - Affaire, toi ? Ha ! Quelle plaisanterie. Dis donc toi, le blondinet. Tu comptes pas embarquer tout ça gratuitement j’espère ? Pépé ne descend pas pour autant. Il se contente de s’accouder à la balustrade et commence à manger son casse-croûte, lui-aussi. Tel grand-père, tel petit-fils. « J’suis en train de lui faire le chiffre de sa journée et v’là comment il me remercie. Quel vieux con… » - Je t’ai entendu. Dos à ton grand-père, quand il te dit ceci, tu te crispes et tu grimaces de plus belle. « On peut y aller maintenant, avant qu’il descende ? C’est prêt à être emmené. » demandes-tu à Sanji, prêt à effectuer un repli stratégique dans son restaurant.

Quelque chose dans ce genre, c’est vague. Vague, mais ça te suffit. Tu te mets à rire et tu répliques simplement : « Si t’es pas rancunier, c’est qu’on s’est quitté sur de bons termes alors. Ça me va. S’ils pouvaient tous faire ça ! » Une pensée particulière pour le serial tireur de mouettes, qui n’a pas digéré aussi bien ton intervention et la mandale que tu lui as collé. Tu ne tergiverses pas dessus, parce que vous avez l’occasion de faire plus ample connaissance et en plus de ça, ton repas t’attend. Toi qui pensais t’être débarrassée de la corvée de caisse, elle va durer un peu plus longtemps que prévu au bout du compte. Au moins, tu n’es pas tout seul sur ce coup-là. « Ooooh pourquoi j’ai parlé de ça, j’avais réussi à l’oublier. J’ai faim. » Pour appuyer tes dires, ton estomac se met à grogner. Non pardon ; À rugir pour réclamer son dû. Il attend patiemment depuis hier, mais là il ne tient plus. Il se sent fourvoyé, dupé par tous ces évènements et toi-même. « Bah ouai. J’me suis sauvé hier pour aller dormir ailleurs, alors Papy m’a privé de repas. J’pensais casser la croûte entre temps, mais j’ai pas eu l’occasion de le faire. »
Il ne faut pas croire ; Tes journées sont bien remplies. Tu bourlingues, tu vas voir tes amis, mais tu oublies de t’arrêter pour manger. Ça parait insensé venant du drôle de personnage que tu es, mais c’est la vérité. Tu as oublié tellement ton propre être, que tu en oublies aussi de manger. Ça n’a pas réduit la taille de ton estomac pour autant et c’est un véritable carnage lorsque tu poses tes fesses à table. C’est à se demander où tu coules tout ce que tu ingurgites.

Tu laisses le problème se régler. Tu as déjà abattu toutes tes cartes face à ton papy et maintenant, tout ce qui pourra le calmer, c’est une bourse bien remplie. Ce que lui lance le cuistot, avant même qu’il n’ait le temps de la ramener. Il la saisit dans sa main d’un geste sec et lorsqu’il l’ouvre, ses yeux se mettent à briller. Il n’a jamais vu autant de billets et de pièce d’un seul coup. Pour sûr, vous lui avez fait plaisir. L’os donné au cabot, celui-ci vous ignore dorénavant. Il tourne les talons et se retirent dans sa cabine pour compter son dû. Ce que tu ne sais pas, c’est qu’il est en train de départager équitablement les gains du jours pour que tout le monde ait sa part. Dont toi. Qui va probablement passer à la casserole. Dans tous les sens du terme.

« Alors là sûr, j’le vois plus de la journée. » Tu es content pour plusieurs raisons. Ton plan est une réussite, tu as rencontré un chic type dont tu comptes bien t’en faire un nouvel ami et en plus, tu vas bien manger ; C’est quoi le bonheur comparé à ce qui se passe ?

Insensible au petit coup de pression mis, tu préfères te concentrer sur le bon cheminement de ces caisses. Tu n’es pas sourd pour autant. Tu l’as bien entendu. Disons simplement que la menace d’un repas gâché suffit à ce que tu t’appliques pour ne pas tout renverser. Tu n’as peut-être plus ton élasticité d’antan, mais il te reste encore ta force. Combiné à celle de Sanji derrière, c’est un jeu d’enfant, même si vous n’avancez pas bien vite à cause de la prudence. Vous avancez malgré tout et soudain, il y a un vent de panique : « Quoi ? Quoi ? Quoi ? C’est pas moi, j’ai rien fait ! » Tu lâches tout d’un coup et ça tangue. Ça tangue dangereusement, mais ça tient.
Tes yeux frétillent de panique, autant que ces poissons aux souffles coupés depuis la remontée, pour finalement te mettre à rire. Ce n’était rien. Rien du tout ! « Le coup de flippe, j’ai cru que ça y est, ils retournaient à la flotte, ha ha ha ! » Tu te bidonnes, un grand sourire aux lèvres, une main posée sur ton front et l’autre sur ton ventre. Tu es emporté ainsi dans l’euphorie pendant de longues secondes, avant de finalement te calmer. Ou plutôt, te faire calmer en revanche par ton propre estomac qui pousse un nouveau grondement de mécontentement. Continuer, oui-oui…

Continuez.
Tu reprends ta prise et tu y retournes. « C’est encore loin ? » Non pas que tu doutes de l’aboutissement de ce trajet sans le moindre souci, mais tu ne sais pas si ton sérieux et ton maigre professionnalisme vont tenir jusqu’à l’arrivée. « Yep ! J’ai juste mon papy. Le reste de ma famille, j’le connais pas et il ne veut pas m’en parler. C’est lui qui s’occupe de moi depuis que j’suis tout petit. » Ça n’a pas l’air de t’inquiéter, mais en vérité ça t’affecte plus que tu ne le fasses croire, parce que votre famille justement, c’est la raison de vos grosses disputes à tous les deux. Il sait des choses, mais il ne veut juste pas de te les dire. Est-ce que c’est pour te préserver d’une déception ? Est-ce que c’est par honte ? Tu ne sais pas, parce qu’il ne veut pas que tu le saches. « C’est temporaire. J’compte m’encrouter ici. J’me sens à l’étroit sur cette île. Moi ce que j’veux, c’est prendre la mer et aller voir le monde. Alors je mets de côté pour m’acheter mon propre bateau. J’me vois mal dépouiller mon papy de son gagne-pain. »

Tout en continuant de tirer, de manière peu conventionnelle, tu te retournes vers Sanji et tu le regardes par-dessus les caisses que vous poussiez. « T’as dit que t’étais chef cuistot, mais par contrainte ou par passion ? Tu te sens bien ici ? J’ai l’impression que t’es triste. » Tu n’aimes pas ça, les gens tristes. Ça t’affecte et te rend toi-même triste sans savoir trop quoi faire pour leur remonter le moral. Surtout qu’en plus, tu ne sais pas pourquoi, mais tu as l’impression que c’est ta faute. Comme avec Law en faites. Tu reprends alors, gommant ces doutes pour une poussée d’entrain : « J’t’apprécie ! J’sais ! Pour te remercier, j’te montrerais un truc tout à l’heure. On va devoir faire un détour, mais toi qui aimes les poissons visiblement, ça devrait te plaire. »

La marmite rouillée ? Tu diriges ton regard espiègle vers la direction indiquée, tu plisses les yeux et tu finies par la voir. « Oh ça va ! C’est pas loin ! » Tu ne t’attendais pas à une grande traversée du port sur la pointe des pieds, mais tu t’étonnes plutôt de ne l’avoir jamais vu dans ce restaurant. « Maintenant que j’y r’pense, Papy et Ed’ en parlent souvent. » Surtout en bien. Ils répètent sans cesse, comme les vieux croulants nostalgiques qu’ils sont, qu’ils iront un jour avec toi. Tu as attendu ; pas de chance pour eux, tu seras le premier à y aller. Ils ont mis trop de temps à se décider. « Le tiens aussi, il est fermé sur lui-même comme une huitre ? » Tu ne le dis pas de façon claire, mais tu es content que quelqu’un comprenne à quel point c’est injuste pour toi et à quel point ça t’énerve. Surtout qu’à ne rien te dire comme il le fait, c’est propice à ton imagination. Tu as l’impression que du coup, c’est proscrit d’en parler parce que vous avez fait quelque chose de grave ici. Ou encore qu’il n’y ait aucune fierté de posséder votre nom de famille. Qu’il y a une espèce de climat honteux qui planent au-dessus de vos têtes, alors que tu n’as jamais eu honte de quoi que ce soit. Tu ne sais même pas ce que c’est, la honte.

Ce n’est pas par honte que tu enterres le sujet de ton côté, mais parce que tu ne sais pas quoi lui dire de plus. Tu n’extrapoles pas. Ta vie de famille ici, ça se résumait à ton grand-père et le vieux marin qu’il a en guide d’amis, avant que tu te retrouves face à ton médecin-boucher favoris, que tu l’incorpores dans ta famille (de force, dira-t-il, d’une extrême mauvaise foi) ; Puis finalement que tu te fasses des amis, comme Sanji ici présent. Voilà une pensée bien plus agréable. La brise de colère qui s’insinuait en toi s’est dissipée assez vite, finalement.

Tu l’écoutes et tu trouves ça fascinant. Un peu triste tout de même, parce que tu as la sensation qu’il est tout seul ou qu’il se sent seul, mais cette passion qu’il a dans son regard avec ce rêve, cette mer, All Blue ; Tu la sens et elle t’est chaleureuse. Tu as des étoiles dans les yeux à imaginer une mer fabuleuse, où tout peut y être trouvé, comme une sorte d’El Dorado maritime. Une pépite d’or pour les cuisto que toi, tu voudrais voir. Tu veux voir à quoi ça ressemble, toi-aussi, curieux que tu es. « Ça a l’air super ! J’espère que tu vas la trouver, cette mer. J’veux la voir, moi-aussi ! Ce … Lucy ? Il devait t’y emmener ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Il t’a pas abandonné quand même ?! » Ce serait horrible et ça ferait de ce Luffy une horrible personne. Elle revient, cette colère, mais là tu n’arrives pas à l’expliquer.

Peut-être es-tu trop investi dans ce rêve qui n’est pas le tiens ? Peut-être as-tu de la compassion pour Sanji, qui se retrouve loin de son bateau à bosser dans un restaurant qui ne lui plait pas ? Peut-être es-tu juste indigné ? Tu ne sais pas, mais une idée te traverse l’esprit : « On pourra prendre le même bateau ? Comme ça, tu m’emmèneras voir All Blue ! » Toi, tant que tu vois le monde, peu importe la destination, tu es ravi.
Enfin, ça sera pour plus tard. Tu ne vas pas l’emmener voir All Blue tout à l’heure, mais un petit coin que tu as trouvé lors de tes sessions de plongée qui devrait lui plaire. Pour le moment, tu as surtout une livraison a assuré et ce serait dommage de tout gâché si prêt du but. Tu te reconcentres donc, avec ces deux idées bien ancrées dans ton esprit. En plus, vous n’irez pas bien loin le vendre vide. « J’te suis ! » Tu n’es jamais rentré de ce côté-ci d’un restaurant, mais cela ne t’empêche pas d’être tout autant intéressé. « Bientôt la graille ! » Si tu le pouvais, tu trainerais le transpalette en tirant avec tes dents, tellement que tu as les crocs et que tu es surexcité. Heureusement que vous n’êtes qu’à quelques mètres de la chambre froide, car c’est dans ces moments qu’une catastrophe pourrait survenir.

« Pas b’soin de me le dire deux fois. Ça me va ! » Sanji sait comment te motiver. Certes par le biais de ton estomac, mais tu es déjà loin de la démarche morte-vivante que tu avais au tout début. Cette conversation, cette rencontre, ça t’a redonné un coup de fouet. Ça va bien finir par se payer tôt ou tard, mais nous n’y sommes pas encore. « C’est vachement plus grand que c’que je pensais, une cuisine de restaurant. Ça sert à quoi tout ça ? » Tu as déchargé une caisse, puis deux, et tu t’es dissipé à la troisième. Tu es plutôt allé fouiner dans la cuisine et si tu poses une question, c’est parce que tu viens d’attraper un ustensile bien étrange. Ça a la forme d’un sablier, la fonction d’un taille crayon, mais avec une sacrée mine parce que c’est beaucoup plus gros. En plus, il n’y a pas de verre, ni de grains de sable, c’est ce qui te permet de déduire que ce n’est pas un sablier.

Tu touche-à-tout, puis finalement tu as l’éclats de lucidité. Tu dois ramener les caisses à ton papy. Est-ce que tu as envie d’y aller ? Hm … Pas vraiment. Tu es bien ici et puis, des caisses vides ce n’est pas urgent.

Tu n’en fais qu’à ta tête. Tu en as toujours fait qu’à ta tête. Là, ce que tu avais envie de faire, c’était de fouiller ce nouvel environnement. Une banale cuisine, mais pour toi qui y mets la première fois, ça n’a rien de banal. C’est le genre de pièce dans laquelle on évite de te mettre en temps normal. Ou duquel on détourne ton attention. D’autant que c’est assez étrange, toutes les bizarreries que l’ont peut trouver dans une cuisine. « Ça ressemble vachement à un gros taille crayon quand même. » Commentes-tu en reposant l’ustensile qui avait attiré ton attention. Tu le reposes, car tu n’as pas caché ta surprise en entendant que Sanji connaissait Ed’. Tu adorais ce gars. Tu ne sais pas pourquoi, il t’inspire la sympathie et en plus de ça, il n’a pas froid aux yeux. Tu l’as souvent vu se disputer avec ton grand-père, pour finalement rire aux éclats avec lui l’instant d’après. Il a un truc qui pousse au respect et à l’admiration.
« Plutôt un ami de papy. Ils ont écumé les mers ensembles auparavant. Enfin, c’est ce qu’ils racontent, mais comme ils radotent beaucoup aussi, je n’en sais pas plus. C’est souvent la même chose, leurs histoires. Il vient souvent à la maison et … » Il t’écoute, contrairement à ton propre grand-père. Il t’encourage avec un sourire chaleureux, il ne cherche pas à te retenir. Ça te fait bizarre parce que normalement, ce n’est pas à lui de faire ça. Si ?

« Ouai, plutôt un ami de la famille. » Tu t’es égaré, puis tu reviens. Tu résumes ça ainsi. C’est plus simple et sa signification est plus forte que cette simplicité. « C’est une sacrée vedette visiblement, tu le connais aussi ? » C’est marrant toutes ces personnes qui connaissent Ed’ au port, alors que ce n’est pas le genre d’individu à courir après la renommée. Il a plutôt l’air de la subir, pour une obscure raison. S’il n’était pas aussi bienveillant avec tout le monde, ça lui jouerait peut-être moins de tour.

En tout cas, tu ne quittes pas les mains de Sanji des yeux, tu es comme fasciner par la préparation. Tu t’es assis dans un coin pour regarder et même si tu sembles très attentif, il y a très peu de chances pour que tu retiennes tous ses faits et gestes pour les reproduire. Est-ce que tu as vraiment besoin de savoir faire tout ça ? Non. Tu en es intimant convaincu que non.
Alors tu admires et cette observation, elle te permet aussi de patienter. Tu n’es pas difficile. Tu aimes tout, mais le poisson cru a tout de même une place particulièrement rafraichissante pour tes papilles, ce qui fait que tu ne t’en passes pas facilement. La viande, c’est pour les forces. Le poisson, c’est le plaisir coupable. La gourmandise délicieusement fraiche et qui peut se manger à toute heure. Ton estomac se met à gargouiller, comme s’il craignait être oublié. Cela brise autant le silence dans la cuisine, que tes pensées.

Tu as entendu la pensée hautement dite et tu as toujours ce petit sourire espiègle. « J’passe pas ma vie au port, tu sais ? En plus, on ne peut même pas s’y baigner. J’passe la plupart du temps à la plage ou près des côtes les moins envahie par le bitume. » Sans compter toutes les fois où tu retournes à la maison ou chez Law pour dormir et récupérer de ta nuit, ou tes escapades en centre-ville. Tu as la bougeotte et c’est sans doute pour ça que Sanji ne t’a jamais croisé auparavant. Les étoiles n’étaient pas alignées. Ou plutôt, les horaires. Quelques choses dans ce style. Tu es censé travailler après tout, à cette heure-ci. « Hm … Bonne question … » Cela mérite réflexion. Tu lèves le regard vers le plafond et tu commences à fouiller dans ta mémoire, dans les images que tu as enregistrées, les conversations que tu as entendues, puis tu reprends : « Des bateaux, il en a plein en maquettes et en miniature dans des bouteilles. D’ailleurs dans ceux en bouteille, y’en a qui est drôle ! Y’a une tête de lion en guise de proue et si tu le regardes de près, t’as l’impression qu’il vogue vraiment sur l’eau, parce que l’eau elle bouge dans la bouteille. Sinon hormis ceux-là ; Non, il n’en a pas d’autres grandeurs natures. De toute façon, j’ai plus le droit de rentrer dans son bureau. »

La faute à qui ? Avec ta maladresse et ton manque de prudence, tu as manqué à plusieurs reprises de casser sa collection. En plus de ça, tu n’arrêtais pas de lui chiper un vieux chapeau de paille. Forcément qu’il en a eu marre et qu’il a tout mis sous verrou. « Après on ne dort pas dessus. On n’a une maison un peu plus loin. » Si on peut appeler une cabane de plage, une maison. Toi tu ne fais pas la différence. À partir du moment où il y a un toit et un lit, c’est une maison.