Je ne ferai pas de vieux os - Ft Sans

Une nouvelle journée commençait à Baiame. Vous m'en voyez ravi. Je vais encore devoir me coltiner ces jeunes. Leur visage détourné de moi d'un quart, la commissure de leurs lèvres trahissant un sourire alors que leur regard se posait furtivement sur moi pour ensuite se reporter sur leur camarade. Leurs moqueries à peine caché, ce monde gris et fade... Répétitif...

J'avais choisi l'art car je voulais qu'aucun jour ne se ressemble. Je voulais voir une multitude de couleurs, des idées venant transcender mon esprit de tous part, vivre de ma passion et avoir mon imagination sans cesse renouvelée. Et au lieu de ça qu'avais-je ? Une routine déplorable, un monde aussi sombre que mon avenir et des bambins qui se moquaient de moi. Je n'avais que 35 ans et pourtant j'avais le sentiment d'en avoir 75 face à eux. Comment se sentir heureux quand le destin vous faisait sans cesse des croches pieds ? Quand les humains que l'on avait cru si longtemps dotés de mille et une couleurs se retrouvaient gris ?

Face à cette vie morne j'avais du m'adapter. Moi qui adorait le orange, je m'étais mis au gris. Voilà déjà depuis longtemps, depuis l'adolescence où mes parents m'incitèrent à "rentrer dans le moule". L'université avait été une libération mais que de courte durée malheureusement...

Et voilà où j'en étais. À une vie insipide. A seulement 35 ans, là où d'autres plus riches peut-être voyageaient et savouraient leur jeunesse. Laissaient parler esprit libre. Et moi je travaillais car j'avais besoin de manger. Ni plus ni moins, rien qu'une question de survie.

Je me garais au parking de l'université et posais les bras croisés sur le volant puis mon menton sur eux. Observant l'asphalte puis le petit carré d'herbe situé un peu plus loin. Je suis sûr que j'avais moins envie d'aller en cours que les élèves. Je fermais un instant les yeux pour prendre une grande inspiration puis me redresser. Allez, on se motive. L'argent ne va pas arriver tout seul.

Je sortais de la voiture en prenant ma petite malette noire et fermais le véhicule. Il était orange, tentative vaine d'apporter un peu de couleur à ma vie, un peu d'inspiration. Au moins j'appréciais la regarder, ça apaisait un peu ma peine. Comme un phare dans ce monde gris.

Je grimpais les quelques marches pour entrer dans le bâtiment. Il me fallait du lait. C'était bon pour mes pauvres os las de ces journées. Avec du café ou du chocolat ? J'arrivais devant le distributeur sans encore être sûr. Hm... Vu comment je suis réveillé, un café fera l'affaire je pense.

@Sans

Café en main, j'étais parti m'asseoir pour touiller le liquide sans envie. Le regard dans le vide, je laissais mes pensées vaquer. Que faire d'une vie aussi insipide ? Comment essayer d'en retirer du plaisir ? Comment profiter d'un monde corrompu ou "avoir de l'humanité" n'était pas un trait commun à tous les humains ? Quel intérêt d'une telle vie ? Devrais-je tenter de déménager ailleurs ? Non, ça ne résoudrait pas le problème. Le problème venait de moi. Cette vision du monde n'allait pas changer tant qu'elle serait par mes yeux, par mon esprit désabusé par tout. Comment on pouvait être aussi ennuyé de la vie à 35 ans ? Tout le monde disait que c'était les meilleures années à vivre..!

Mais cette vie morne semblait prendre un tournant drastique l'instant où quelqu'un apparu devant mes yeux. Oui oui, apparu. Comme ça. Une seconde il n'y avait rien et l'autre un homme se dirigeait vers la cafetière. Je reposais mon regard vers mon café. Je savais que je n'étais pas réveillé mais à ce point ? Commençais-je à devenir fou ? Devrais-je consulter ? Est-il temps pour moi de mettre un terme à la carrière et d'aller en asile ? Je regardais cet homme avec presque la crainte qu'il disparaisse et que je sois réellement fou. Avais-je vraiment eu une absence..? Non, ce n'était pas possible... Le surnaturel n'existait pas n'est-ce pas..? Non, si la personne usait de... Je ne sais quoi de magique, elle serait consciente d'elle même et ne serait pas si nonchalante à l'user devant un inconnu comme ça n'est-ce pas..? J'observais l'individu qui était bien la personne la plus nonchalante que je n'ai jamais rencontré. Même moi, blasé de la vie, n'était pas comme ça. ... Si ? Je ne sais pas vraiment en fait. Et si les gens me percevaient comme ça ? Je n'étais pas beaucoup plus énergique que lui donc peut-être me pensaient-ils même plus las que lui...

Je ne me souvenais pas l'avoir déjà croisé à l'université. Après, en dehors de la salle commune pour les professeurs, je n'allais pas aux repas organisés ou autres événements faits pour créer les liens. Rencontrer des personnes pour ensuite être déçu de leur vraie nature... Très peu pour moi. Je regardais de nouveau l'homme qui me parlait. Donc c'était réel.

- Je ne suis pas fou, vous êtes réel n'est-ce pas ?

Je ne pouvais pas m'empêcher de demander. Je prenais alors une gorgée de café. J'en avais besoin, peu importe sa réponse. Que se passait-il ? Pourquoi mon monde semblait comme soudain ébranlé par cette nouvelle ? Des couleurs s'allumaient, clignotaient autour de cet homme. Une nouvelle perspective naissait. Je ne sais pas encore si elle sera positive ou négative...

La réponse ambiguë de l'homme me fit comprendre que celui-ci, réel ou non, souhaitait rester dans le mystère. Et qui sait, peut-être rire de mon ignorance. Ce ne serait pas nouveau après tout, des gens qui se moquent de l'ignorance d'autres. Était-ce censé être normal de voir quelqu'un apparaître ainsi ? Aux yeux de cette entité cela semblait être le cas en tous cas. Peut-être était-ce mon esprit. J'avais lu que les personnes souffrant de troubles mentaux avaient souvent des hallucinations qui les rabaissaient, les faisaient se sentir moins que rien.

- Très bien.

Je n'allais pas donner à cette personne les outils avec lesquelles me battre. Je n'allais pas lui laisser l'occasion de se moquer de moi, la vie le faisait déjà bien assez au quotidien. Bon sang, que j'étais déprimant à entendre. M'écouter me déprimait plus qu'autre chose, c'était terrible. J'avais envie d'arracher mes pensées de ma tête et de partir loin de moi-même. Malheureusement c'était impossible. J'avais l'impression d'être étranger à moi-même.

Je ne pouvais cependant pas m'empêcher de suivre du regard ce jeune homme qui partait s'asseoir fasse à moi. J'avais peur d'être fou. D'avoir franchi la ligne de la sanité mentale, être passé de l'autre côté. Comme tous ces films étranges où le personnage principal est fou depuis le début mais ne le découvre qu'à la fin. Peut-être ai-je un cadavre chez moi que j'ai tué sans le savoir ? J'admets que cette idée me retournait l'estomac. On pouvait dire que c'était des pensées stupides voire inutiles mais la folie était courante chez les artistes après tout. Peut-être me couperais-je bientôt une oreille qui sait.

En entendant la proposition de l'étrange personne, je termina de boire mon café avant de tendre ma tasse. Après tout si je bois le café qu'il me sert, cela devrait être une preuve que tout était réel n'est-ce pas ? Enfin on ne se rend compte jamais que l'on est vraiment fou. Et si sa téléportation était ma lampe de chevet floue ? Et si j'étais dans un rêve et que cette erreur allait me faire réveiller ? Non, il faut que je me calme, ce n'est pas parce que je me sens mal dans ma peau que je dois me faire des films et espérer une libération de mon être de faux rênes.

- Tout comptes faits, j'accepte volontiers.