À mi-chemin - Venceslas & Perceval

Les sorties à la taverne avec mon allié et ami de toujours, le Seigneur Karadoc, me manquent horriblement. Je ne pensais pas que je dirai ça un jour de lui, parce que c’est tout de même un gros con, mais il me manque. C’est dur d’aller dans une taverne sans lui, compliqué de manger sans avoir ses bruits de bouches dans l’oreille ou ses commentaires sur le fait que ce crottin de chèvre ne soit pas assez affiné ou que ce saucisson soit beaucoup trop sec. Depuis que je le connais, j’ai toujours fait attention à ce que je mangeais, pas trop de graines, beaucoup de gras. Mais maintenant qu’il n’est plus là, je me retrouve un peu perdu. Et en plus de tout ça, j’ai perdu notre clan. Ça ne serai pas trop dur de le reformer, à moi tout seul, j’ai l’esprit et la force pour le faire, c’est pas bien ça le problème. Mais sans lui ? Non, il manquerait un poteau de renfort.

Mais bon, même s’il n’est pas là, mon activité principale reste tout de même de passer du bon temps à la taverne. Et pareil, je pensais pas dire ça un jour, encore moins que Karadoc d’ailleurs, mais ce con de tavernier me manque aussi. À nous trois, on faisait des belles parties de Cul de Chouette, ou de Chante Sloubi. Maintenant, si j’ai envie d’y rejouer, je vais encore devoir me coltiner les explications de règles à un groupe de cons qui ne vont encore rien comprendre. Ça m’énerve ça…

Alors que je m’apprête à entrer dans l’une des tavernes du quartier des loisirs, mon regard capte l’un des clients, déjà assis à une table. Mon sourire s’agrandit et mes yeux pétillent. C’est pas vrai ! J’entre dans le bâtiment et m’approche de sa table.

- J’y crois pas, Venec c’est vous ?

Évidemment que c’était lui. Ce n’était pas Karadoc, pas Arthur ni le tavernier, mais ça me faisait un bien fou de voir une tête connue, depuis tout ce temps…

Je ne me pose pas plus de questions et m’installe à sa table en face de lui.

- Alors ça si j’pensais ! Vous aussi vous vous êtes retrouvé dans c’bled pourri sans aucun souvenir ? J’vais pas vous l’cacher, mais franchement quand je m’suis réveillé, j’ai rien compris. Dis-je en fronçant les sourcils.

Avec ces retrouvailles, je sens ma mélancolie prendre de la distance. Et ça me fait un bien fou.

Mes yeux s’agrandissent de surprise lorsque j’apprends le véritable nom de celui qui me fait face. Venceslas ? Pas étonnant qu’il se faisait appeler Venec, à Kaamelott ! Y’aurai pas eu un péquot qui aurait su le prononcer correctement.

- Ah ouais ? J’savais pas que c’était ça votre vrai nom. Et du coup à l’époque vous vous trompiez ? Je le regarde, compréhensif. Vous en faites pas, moi aussi je m’suis déjà gouré de nom, Provençal au lieu de Perceval, c’était la honte…

Une lueur de mélancolie passe dans mes iris alors que je repense au « bon » vieux temps. Au moins, malgré cette erreur, j’étais connu pour de beaux et vaillants faits et gestes, mais seulement sous un nom qui n’était pas le mien. C’est ballot…

Je hausse les épaules à sa réponse, ne comprenant pas tellement là où il veut en venir. Une gueule de bois ? Ouais, j’en ai eu de belles, mais ce n’est pas la question, de quoi il me parle ?

- Non non, c’était pas une gueule de bois, vous vous en souvenez pas ? Pourtant ça a dû vous faire tout drôle d’vous réveiller ici, au beau milieu de cette ville. Remarquez, ça change de Kaamelott. Et puis, vous avez plus l’Roi dans votre dos !

Je souris à l’idée d’accueillir une troisième personne à notre table et fait un signe vers l’un des serveurs.

- Dites tavernier, énoncé-je à l’encontre du serveur, vous auriez pas du vin d’Aquitaine ? Et amenez-nous un peu d’singe aussi, pour accompagner.

Je me tourne vers Venec après que l’homme soit parti, légèrement décontenancé par ma demande.

- Vot’ ami, vous pensez qu’il est d’humeur jouasse ?

Je l’observe sans vraiment savoir quoi répondre. Venec est étrange. Déjà qu’il ne veut pas que je l’appelle par son prénom, il affirme maintenant haut et fort qu’il ne me connaît ni d’Eve ni d’Adam. Pourtant je ne suis pas fou, évidemment qu’on se connaît ! Alors peut-être que je ne l’ai vu que deux ou trois fois, mais n’empêche qu’il m’a sorti de beaux draps quand j’avais besoin de parler. Il avait toujours une fille à me dépanner. Même si je crois que je l’emmerdais plus qu’autre chose, je ne pensais pas que ce serait au point qu’il réfute que l’on se connaisse. À moins que ce soit pour une toute autre raison ? Peut-être était-il en mission secrète ? Mon regard s’éclaircit et je lève un index vers lui alors qu’il commence à se lever.

- Aaah d’accord ! J’ai compris, dis-je en souriant, partageant son secret. In-co-gni-to. Excusez-moi, j’avais pas saisi. On s’connait pas et d’ailleurs moi c’est Provençal.

Lorsqu’il se lève, je me sens un peu démuni. C’est pas très sympa de faire ça alors que je ne souhaitais qu’une compagnie sympathique. Je ne le quitte pas des yeux, triste. Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal ? Dit quelque chose ? J’ai tendance à faire fuir les gens sans jamais trop comprendre la raison. Je m’apprête à laisser tomber, mais change immédiatement d’avis lorsque le tavernier m’amène une bouteille de vin rouge et une assiette de charcuterie. C’est tellement… fin que je ne comprends pas l’intérêt. Où sont passés les gros sauciflards entiers et les pintes débordantes ? Dans cette ville, tout est propre, tout est trop. Moi, j’préférais comme c’était avant.

Je me tourne vers Venec qui avait pris place à une autre table dans mon dos.

- Venec ! Euh non pardon… Excusez-moi j’ai oublié. ‘Voulez pas partager ce saucisson et ce vin avec moi ? J’vous promets que j’vous emmerderez plus, lui assuré-je en entrant dans son jeu. Vous savez, j’suis pas quelqu’un de méchant, j’étais juste heureux de voir un visage familier. Enfin… c’que j’croyais. Quand vot’ ami qui n’est pas vot’ ami débarquera, je m’en irai.