Souvenirs d’une autre vie - Aconia & Perceval

C’était comme un orage, comme les nuits pendant lesquelles les loups hurlent à la sombre prophétie. Alors que j’allais à la taverne me désaltérer, je l’ai vu, mon Roi. Pourtant, à cette époque là je n’avais pas de roi, dans ma tête, j’étais seulement le petit gars à qui on donne des trucs à faire, des gens à surveiller. Mais dès que j’ai vu Arthur avec son lait de chèvre, tout est revenu. Comme un orage, c’était compliqué de suivre, surtout que je suis con. Enfin, ça c’est ce que les autres n’arrêtent pas de me dire, alors je m’en suis convaincu. Pourtant j’ai bien compris ce que je vivais : j’avais oublié ma vie de Chevalier de la Table Ronde, et maintenant, en voyant Arthur, tout m’était retombé sur le coin de la tronche. J’avais eu l’impression d’avoir le cerveau fragmenté en petits bouts. Mais bon, je ne pouvais pas y faire grand chose. Et puis quand je suis revenu à moi, il devait s’être écoulé pas mal de temps parce qu’il faisait nuit et qu’Arthur avait disparu. J’ai même pas eu le temps de lui parler. C’est triste, mais je sais que je le reverrai. La ville n’est pas si grande que ça.

Depuis, je continue ma petite vie comme je le faisais avant, mais cette fois avec un arrière goût bizarre dans la gorge. Et je sais que c’est pas à cause du picrate qu’ils servent à la taverne, parce que celui-là est vachement bon. Ça change de la merde que nous vendait les pécores à Kaamelott. Non, c’est pas ça, c’est différent. Comme si… comme si quelque chose manquait. J’ai mes souvenirs, je me souviens de tout, et pourtant je crois que je préférais avant. Là, je suis tout seul, je peux en parler à personne parce que j’ai remarqué qu’en plus de me prendre pour un con, on me prend pour un fou quand j’en parle. Alors j’ai arrêté tout ça.

Et puis un jour je suis passé devant ce bâtiment. Un « musée ». Jamais entendu parler. Mais il paraît qu’on y trouve des trucs qui datent, des souvenirs, des objets qui furent importants dans le passé. Alors je me suis dit que j’y trouverais peut-être quelque chose. Peut-être que c’est con, mais ça vaut le coup je crois.

À l’intérieur, ça sent le savoir et le désinfectant. J’aime pas trop ça mais je continue à regarder autour de moi. J’achète un billet pour faire le tour et je suis mon instinct qui me mène vers une petite salle. À l’intérieur, il y a quelques autres personnes à qui je dis bonjour. Mon corps se stoppe en apercevant un objet que je connais très bien. Le plastron, les canons de bras, le casque… C’est mon armure ! Qu’est-ce qu’elle fait là ?

Je reste bien quelques minutes là, les yeux brillants, à ajuster mon reflet sur la vitre pour que celui-ci corresponde à l’armure. Ça me donne l’impression que je peux la porter encore. Elle était carrément inconfortable mais en un sens, ça me manque.

Je dois bien rester là cinq bonnes minutes à contempler ma silhouette -plus très fine que ça- au travers de la vitre. Je ne bouge pas, me remémorant simplement les quelques souvenirs qui me traversent l’esprit à ce moment. Je sursaute légèrement lorsqu’une voix féminine parvient à mes tympans. Je me recule de la vitrine, comme si j’étais fautif de quoique ce soit. J’ai l’habitude de me faire gronder, même si je ne comprends pas d’où vient ma connerie… Peut-être que je n’avais pas le droit de regarder l’armure autant ?

Je fronce les sourcils en entendant mon nom. Comment savait-elle tout ça ? Je ne pensais pas être si connu. Et surtout pas depuis que ma vie a tant changé.

Après mon nom, vient celui de mon ami, le Seigneur Karadoc, ainsi que la mention de notre quête du serpent géant. J’attends que la jeune femme bien trop documentée s’arrête dans ses explications pour enfin afficher mon air déconfit.

- Bien sûr que j’sais à qui elle est, c’t’armure. Perceval de Galles, c’est moi. Dis-je, les sourcils froncés. D’ailleurs vous devriez cacher un peu mieux le casque, j’vous jure qu’il fait con quand on le met. Avec Arthur, avec l’Roi je veux dire, on avait conclu qu’on les mettrai pas tellement ça nous fait à tous des têtes de cons.

Quand je repense à ce souvenir, cela me fait doucement sourire. Je ne pensais vraiment pas que tous ces cons allaient me manquer. Sauf Arthur, évidemment. Je lève mon index, ajoutant quelques précisions sur la quête du serpent géant.

- C’est marrant que vous parliez de ça, parce qu’en fait, le serpent géant il était pas si géant qu’ça… Il faisait à peu près ça de grandeur et ça de hauteur, expliqué-je en désignant avec mes paumes des espaces ne dépassant pas les trente centimètres. Nan mais par contre, j’vous assure qu’il nous a donné d’la corde à renouer. On s’est fait passer un savon par Arthur, au final. Sois disant qu’on avait pas cherché l’vrai serpent géant. Je finis en haussant les épaules.

De toute façon, je ne me souviens pas d’un rapport qui ai déjà plus au Roi.

Je fronce les sourcils quand elle murmure. Je n’entends pas vraiment ce qu’elle dit mais de toute façon il ne me semble pas que ça m’était destiné. Elle me tend sa main que j’empoigne et hoche la tête, plutôt très surpris par ce qu’elle est en train de m’avouer. Elle connaît Arthur ? Incroyable !

- Vous connaissez le Roi ? Vous êtes la première que je croise qui parle de lui, ça fait tout drôle. Et préceptrice vous dites ? C’est pas quand on soigne les bébés ça ?

Je ne comprends pas vraiment en quoi elle lui était utile quand il était à Rome, parce qu’il me semble qu’il était pas bébé quand il y était. Ou alors j’ai rien compris. Elle m’affirme qu’elle est honorée et cela me va droit au coeur, tellement que j’ouvre grand mes yeux, comme si mes globes allaient en sortir. Honorée de me rencontrer ? Ouaaah, quelle classe, quel prestige ! Si le Seigneur Karadoc avait été là, il ne m’aurait pas cru.

- J’aurai tendance à dire que vous vous plantez de personne parce que personne est jamais honoré de m’rencontrer. Mais si c’est vrai alors ça m’fait grand plaisir. J’suis content que vous connaissiez le Roi. Vous l’avez vu ?

Et puis, elle me propose de déjeuner à ses côtés, ce que j’accepte sans rechigner. Parler avec elle à propos d’Arthur est la seule chose dont j’avais besoin aujourd’hui. Je la suis, où qu’elle m'emmène.

- Aconia vous dites ? Arthur m’a jamais parlé de vous, mais vous savez, il était très secret sur son passé. Même à la Reine, il disait pas grand chose. Enfin, j’crois. En tout cas, tout c’que je sais c’est qu’il allait pas bien, Arthur. Il m’a fait peur. Mais heureusement qu’les dieux étaient là pour le sauver. Moi, j’aurais bien aimé le sauver aussi.