Hey brother. Ft. Miguel Álvares

Tu t’étais disputé avec ton grand père. Encore une fois. Encore une fois, tu as essayé de lui faire entendre raison, à propos de cette stupide idée de te faire reprendre l’école et encore une fois, tu as campé sur ta position. Tu as refusé. Tu le sens que ce n’est pas ta place, les bancs de l’école. Que tu vas t’y ennuyer et que tu avais avoir la sensation de gâcher ton temps. À l’école, ils apprennent comment gagner de l’argent. Pas comment se faire des amis. Ça ne sert à rien. Cette énième dispute avait mis à mal le programme du jour. Tu ne partais pas avec eux. Ton papy, pour te punir, t’avait interdit de monter sur son bateau. Un véritable crève-cœur. Là il avait botté en touche, avec une telle punition. Pour toutes les fois où ça n’avait servi à rien de t’envoyer dans ta chambre, parce que tu filais en douce par la fenêtre, il s’était bien rattrapé.

Tu restes persuadé qu’il va changer d’avis. Il va revenir. Il a besoin de toi. Tu ne t’étais pas emporté et même si tu étais blessé dans ton amour propre, tu avais décidé de rester là. À ce quai et d’attendre qu’il revienne. C’était ta façon à toi de bouder, parce que ce n’est pas en te lâchant sur le quai que tu vas subitement avoir envie de t’inscrire à l’université.

En plus, tu manquerais ce spectacle magnifique.
Cela fait déjà une bonne heure que le bateau est parti. Il n’est plus qu’une toute petite tache noire à l’horizon, sur ce vaste océan qui s’étend à perte de vue. Le soleil se lève et rayonne, se reflétant sur chaque morceau d’écume que laissent dans leur sillage les vagues. Elle n’est pas agitée. Elle est calme et ce calme, ça te permet d’apaiser ta frustration. Pas de chapeau de paille vissé sur ta tête, mais une chemise rouge ouverte, car ton teint halé n’a jamais connu le froid. Il fait bon de bonne heure, durant ces jours d’étés. Ça te donne envie de te baigner ou de dormir, ce temps devant toi. Évite tout de même les deux à la fois, car selon les médecins, c’est dangereux. Tu pourrais te noyer sans le vouloir.

Ces rayons de soleil reflétés dans l’eau se retrouvent également dans tes yeux, alors que tu scrutes l’horizons. Tu n’as pas entendu ce cri ou plutôt, tu en as fait abstraction. C’était un bruit de fond appartenant à l’animation du port à cette heure et probablement un autre marin appelant son collègue. En revanche, tu ne peux pas passer à côté de cette silhouette qui s’installe à côté de toi. Sa présence te surprend même, puisque tu étais tellement dans ta bulle à rêvasser que tu n'avais pas entendu ses pas sur le ponton. La surprise se gomme très vite et tu réponds, enchanté de partager cet instant avec quelqu’un : « Oui ! Ça se réveille et on ne sait pas quels seront ses caprices aujourd’hui. C’est reposant et intriguant à la fois. » Tu lui réponds sans détour, parce que tu ne sens pas le besoin de t’en méfier. C’est spontané, mais cela se voit que tu ne le reconnais pas.

Tu ne lui sautes pas dessus et surtout ;
Tu ne fonds pas en larmes.

Tu lui souries, comme tu sourirais à un inconnu pour faire bonne impression. Pour être avenant, bienveillant. Personne ne remettrait en doute ta capacité à aller à la rencontre des autres. Probablement parce que tu es trop insouciant pour faire partie de ces personnes à juger et appréhender un comportement sans avoir ouvert un premier dialogue avec. « Tu es venu la regarder aussi ? J’m’appelle Miguel et toi ? » Tu le dévisages avec cet air un peu benêt, mais sincèrement intéressé par la réponse. Un gars qui vient prendre le temps de discuter en admirant l’océan, c’est forcément un gars bien. Le dernier en date est devenu ton meilleur ami, alors tu n’as aucun contre-exemple pour remettre en doute ceci.

Il a beau ne pas te regarder, tu n’es pas aveugle. Tu voies bien qu’il est sur le point de pleurer, mais tu ne sais pas si cela est ta faute ou bien s’il t’a abordé avec déjà cette grosse peine au cœur. Ou si tu es totalement à côté de la plaque et que tu as loupé quelque chose. En attendant d’avoir un peu plus d’information, tu joues les aveugles. Tu fais comme si tu n’avais rien relevé et tu souries. Tu essayes de lui inspirer de bonnes ondes, de l’énergie. « Oh ! D’accord. J’lui laisserais la place quand il viendra, promis ! On n’est vite à l’étroit sur ces pontons. » Ce n’est qu’une excuse. Tu n’as surtout pas envie de te retrouver mêler à des histoires de famille et puis, si ça se trouve c’est pour ça qu’il pleurait. Parce que ça fait longtemps qu’il ne l’avait pas vu et donc, tu as aussi envie de leur laisser de l’intimité.

Cela dit, pour le moment, il n’y a pas l’ombre d’un petit frère.
Alors tu campes ta position.

« Enchanté Ace ! Ce n’est pas dur à retenir ! » Tu ries, mais tu sens un désagrément. Quelque chose qui ne tourne pas rond. Si ce n’est pas dur à retenir, alors pourquoi tu as l’impression que tu aurais dû le retenir. Que tu dois le faire ? Tu ne t’attardes pas sur cette question, tu préfères sourire en le voyant rire. Tu ne sais pas pourquoi il rit, mais ce n’est pas grave ! Voir les autres joyeux, ça te suffit pour être heureux et sourire. En plus de cela, ça te permet aussi d’oublier la punition que tu subies actuellement. D’oublier le fait que ton papy t’a laissé sur le ponton, alors qu’il partait au large et qu’il sait que tu aimes la mer plus que tout.
Tu te sens bien soudainement. Ça non plus, tu ne saurais pas l’expliquer. Tu ne saurais pas trancher entre la présence de la mer ou la sienne, mais tu te dis simplement que c’est parce que tu n’es pas tout seul, alors que c’est ce qui était prévu de base. Ça te fait même rire d’imaginer la tête de ton papy, quand il va rentrer et voir que sa punition t’a permis de créer de bons souvenirs.

Tu hoches négativement la tête et tu accompagnes ta gestuelle avec des mots. « Pas au port même. On a une maison sur le littoral, à l’écart de la ville. J’vis chez mon papy et parfois chez Law aussi ! Surtout quand on se dispute avec pépé. Là, j’peux t’assurer qu’il ne va m’voir ce soir à la maison. » Chacun son tour de lâcher l’autre ! Non mais. Il n’avait qu’à pas te laisser sur ce ponton. « Il a refusé que je monte à bord aujourd’hui et j’suis sûr qu’il va raconter à tout le monde après que c’est moi qui ai déserté le navire, alors que c’est faux ! Il veut absolument me faire reprendre les études et m’envoyer à l’université, mais j’ai pas envie d’y aller moi. » Tu marques un arrêt. La rancune éveille un don chez toi, celle du mimétisme et tu te mets à vieillir volontairement ta voie pour imiter ton vieux : « “ Si tu veux r’monter, reprends tes études. Ensuite on verra”. » Une grimace ponctue l’imitation. Une grimace que tu diriges vers le bateau, alors que ce coup de nerf t’a claqué. Tu t’écroules et tu allonges sur le bois humide du ponton sans savoir pourquoi tu lui racontes tout ça. « Bref ; c’est ici que j’travaille en revanche. Quand on ne m’en empêche pas. »

Pas comme aujourd’hui par exemple.
Ça te donne une bonne excuse pour flâner cela dit et t’occuper de tes propres affaires. Ça fait berluette que tu ne t’es pas accordé une session plongée avec le club. Tu devrais peut-être appeler Nerée pour lui demander s’ils avaient prévu une sortie aujourd’hui. « J’t’ai jamais vu sur l’île, tu y vis ? Tu viens d’où toi ? » C’est vrai ça, il t’a dit qu’il venait voir son petit-frère, mais c’est tout. Si ça se trouve, il est comme Marco, il vient d’un autre coin du globe et il a fait tout ce chemin pour le trouver et le revoir. Ça serait une belle marque d’attention et sacrément ingrat de la part du petit-frère en question de lui poser un lapin.

Tu écoutes aussi attentivement qu’il t’a écouté. Tu es heureux de voir que ta petite imitation fait mouche et fait rire. C’était le but. Rendre ta déception moins amère. La tourner au ridicule pour en rire.

À quoi bon se prendre la tête avec si peu. Ce n’était pas important, ça ne menaçait pas ta vie. Ce n’était pas un danger mortel. Juste une épine dans le pied un peu pénible. « T’es le premier à me dire ça. Ça me fait plaisir, merci ! » Tu es sincère, parce que c’est vrai. Cela ne peut que te faire plaisir de voir et d’entendre quelqu’un qui comprend ce que tu ressens, ce désir de prendre le large, cette soif de liberté. « Qu’est-ce que tu voulais faire ? Et Il a fait quoi après, quand il a vu que tu ne le suivais pas ? Il s’est fâché ? » Son histoire t’intéresse, car ces quelques morceaux sont similaires à la tienne. Bien plus que tu ne le crois, parce que c’est aussi ton histoire. La vraie, celle que tu as oublié. « Le mien, si je ne fais pas ce qu’il veut bah … Il s’énerve, il me fout des baffes. Ça m’fait mal, mais c’est passager. C’est souvent pareil en faites, on s’engueule, j’encaisse, j’me casse, puis j’trouve ça nul, alors j’reviens et il s’excuse. » C’est toujours le même schéma et tu ne sembles pas usé par celui-ci. Ni même perturber par le fait qu’il te tape d’ailleurs.

C’est ça qui est compliqué avec ton papy. Les chiens ne font pas des chats et vous avez un caractère trop similaire, impulsifs et têtus. Ces deux traits suffisent pour que ce ne soit pas un long fleuve tranquille sous votre toit, mais il n’y a aucune méchanceté là-dessous. Juste des chamailleries, brutales certes, mais passagères. Même si tu rumines, râles et l’imites, tu as également de la reconnaissance envers lui. Il s’est occupé de toi et il continue. Un peu trop, du coup. « Pour c’soir, c’est ce que j’comptais faire en tout cas ! Demain, on verra. » Dis-tu, alors qu’en vérité tu hésites encore. Tu aimerais t’installer définitivement chez Law, plutôt que d’alterner entre les deux. Un : tu ne sais pas s’il est d’accord, mais tu as ta petite idée sur la question. Deux : tu as un peu de mal à laisser ton vieux tout seul. Il est tellement colérique et dans le déni vis-à-vis de son âge, que tu as peur de le retrouver entre quatre planches si tu le laisses trop longtemps tout seul.

« Toi-aussi ?! J’ai croisé un gars y’a pas longtemps, qui venait de là-bas. Enfin ; qu’était dans un cas similaire au tien, c’est fou ça ! On m’a toujours dit qu’on était isolé de tout. »  Intéressé, le regain d’énergie refait son apparition. Tu ne te relèves pas pour autant, laissant le soleil réchauffer ta peau et tes cicatrices de ses rayons. Tu n’as pas de chapeau de paille pour te protéger la tête, mais qu’importe. Ça réchauffe ton âme et tu te sens détendu. Entre Ace et lui, il y a tout pour.

« J’aimerais bien voir votre île, mais papy refuse que j’quitte l’île. Il dit qu’au large, y’a des tempêtes qui nous ramènent ici. Y’a plein de bateau qui s’échoue sur la plage de galets. Ça ressemble à quoi ? »  
Ces bateaux échoués, tu les as vu. Tu ne traiterais donc pas ton grand-père de menteur, mais ses histoires ne te démotivent pas. Tu n’as pas peur pour autant d’y aller, au large. Ou de te retrouver face à l’une de ces fameuses tempêtes. Tu as confiance en tes capacités. Tu sais que tu pourras t’en sortir.

Plus Ace t’en raconte, plus tu trouves ça terriblement cool. Si son attention était de t’inspirer, c’était réussi. C’est ce que tu voulais aussi, après tout. Prendre le large, sans avoir de cap précis. Juste savourer chaque instant, chaque moment où tu es balloté par l’océan. « Être pirate … Ça a l’air dément. En tout cas, quand j’lis et j’regarde des histoires de pirate, c’est vrai que ça donne envie. Ils n’ont pas l’air de se soucier de grand-chose. Juste vivre au jour le jour l’aventure. » L’aventure avec un grand “A”, même si tu t’es forgé cette vision de la piraterie uniquement grâce à toutes ces œuvres créées par l’imaginaire à votre disposition. Une opinion biaisée, sans trop l’être. Aussi complexe peut être la situation où la réalité fusionne avec la fiction, finalement.
Tu te prends au jeu de la conversation, tu t’ouvres un peu plus car tu sens que tu peux le faire, sans être jugé ou moqué. Que tu peux exprimer sans peur ce que tu as sur le cœur. « C’est ce que j’aimerais faire aussi, prendre le large, mais … » Mais. De la bouche de Luffy, ça n’aurait jamais été prononcé. Ce “mais”. Ça aurait plutôt “je prend le large, et demain”, sur un coup de tête. Ce “mais”, il rappelle que tu n’es pas tout à fait toi-même, en plus de ces souvenirs latents, quelque part dans ta caboche.

Tu reprends en soufflant un rire : « Je n’ai pas de bateau, pour commencer, ni d’argent pour m’en acheter un. Puis ; Papy a beau être chiant, j’me vois pas le laisser tout seul sur cette île. » Surtout que le seul bateau qui est à porter, c’est le sien. Tu ne vas le lui voler votre gagne-pain ! Faudrait être un véritable salopard pour ça. « J’espère en tout cas que tu ne regrettes rien de toute ça, parce que ça a l’air incroyable. J’suis un peu jaloux, j’vais pas t’mentir. » Tu ne sais pas mentir, tu le sais. Alors autant être sincère et dire la vérité. Pour autant, cela reste une once de jalousie. Rien de toxique ou qui te ferait monter dans les tours.

Tôt ou tard, tu finiras par repartir en mer. C’est écrit et personne ne peut aller à l’encontre de ta nature. D’autant que maintenant, tu sais que tu as une nouvelle île à proximité de la tienne à explorer et que tout ce qui manque, c’est visiblement quelques paperasses administratives si tu t’en tiens à ce que t’explique Ace. Tu fais néanmoins une moue contrariée, parce que ; tu n’aimes pas la paperasse en question. C’est une prise de tête inutile, selon toi. « C’est vraiment obligatoire, la dérogation ? » Ta question sonne plutôt comme une façon détournée d’avouer que tu avais une autre idée en tête. Une idée qu’un pirate, comme lui, pouvait très facilement capter. Certes tu ne veux pas voler, mais ce n’est pas pour autant que tu acceptes de te plier aux formalités.

« Tout s’ra plus différent que cette île, de toute façon. » Bien tenté de la part d’Ace, mais ce n’est pas comme ça qu’il va t’avoir et gommé aussi facilement ta volonté de voir ailleurs. Tu te redresses à l’aide de tes coudes et tu replonges ton regard vers l’horizon. « J’ai passé trop de temps à tourner en rond sur cette île. J’me sens à l’étroit, comme un lion en cage, j’veux voir ce qui se passe ailleurs. C’est pas vraiment l’arrivée qui m’intéresse, même si j’ai rien contre faire du tourisme, mais c’est le voyage. » L’expérience que tu en tires. Les souvenirs de la traversée. C’est aussi pour cette raison que tu ne veux pas partir seul à l’aventure, parce qu’une aventure en solitaire n’a rien d’une partie de plaisir. C’est juste long et épuisant, ainsi que potentiellement mortel parce que personne ne sera là pour combler tes lacunes. Tu es capable de te débrouiller, ce n’est pas le problème ! Le problème, c’est que tu aimerais que cela dure plus que quelques heures.

« Alors si tu essayes de me faire oublier l’idée de partir dans les jours qui viennent pour ta ville, c’est loupé ! » Tu te mets à lui rire au nez. Tu es têtu comme une mule. Tu n'attends pas que l’on vienne te chercher. Tu guettes plutôt l’horizon et tu patientes. Cette chose qui te manque pour pouvoir partir, tu finiras tôt ou tard par la retrouver. Peut-être même qu’elle dort au fond de l’océan et que c’est pour ça que tu aimes autant plonger et remonter des trésors. Pour espérer remonter l’ultime trésor qui t’appartient.