Ca faisait tout drôle de revenir chez elle après tout cela. Cette aventure avait été si surréaliste qu’elle avait presque l’impression de rêver, maintenant qu’elle était retournée à la vie normale. Enfin, la vie normale, c’était beaucoup dire. Elle savait assez clairement que cette vie n’était pas celle qu’elle aurait dû vivre. Elle savait que ses souvenirs étaient faux et à-cause de ça, elle savait aussi qu’un jour, elle changerait sûrement. Pour redevenir une Gothel. Elle n’était pas certaine d’aimer cette idée. Séquestrer une demoiselle dans une tour et l’empêcher de voir le monde, ce n’était pas l’idée qu’elle se faisait de la bienveillance.

Alors qu’on frappait à la prote, elle alla ouvrir, l’esprit toujours un peu soucieux. Elle fut donc un peu surprise de voir lui sauter au coup une des jeunes filles dont elle avait eu la charge et qui était maintenant suffisamment âgée pour voler de ses propres ailes. La petite Evangéline n’avait pas été facile à vivre. Elle lui en avait fait voir de toutes les couleurs et pourtant, le lien avait bien été forgé. En preuve, la réaction de la jeune femme par rapport à sa récente disparition. Touchée jusqu’au fond du cœur, Maïa referma ses bras sur sa fille, du moins l’était-elle dans son cœur.

« Je suis là, ma chérie. Ne t’en fais pas, je ne suis pas blessée. »

Enfin plus trop. Elle avait dû se soigner un minimum quand-même. Mais ça allait mieux. Il n’y avait pas de trop gros dégâts physiques. Les plus rudes étaient ceux de l’esprit. Le souvenir de la perte d’Artémis et de son propre égorgement lui nouait encore l’estomac. Mais il allait bien. Elle l’avait revu depuis, il allait bien. Elle la regarda avec tendresse pendant qu’elle parlait à profusion de son inquiétude en la voyant sur la liste des disparus, quand elle se mit à parler de gâteau. Finalement, elle rit devant son excuse et déposa un bisou sur son front.

« Et si on le faisait ensemble, ce gâteau. Ce sera une façon agréable de parler, tu en penses quoi ? »

La mère d'accueil ne s'était pas rendu compte que d'autres personnes que les enfants dont elles s'occupaient s'étaient aperçus de son absence. Mais elle ne savait pas non plus combien de temps cette absence avait duré. Elle n'avait pas encore eu le temps de le déterminer à proprement parler. En revanche, elle était touchée que la petite Evy se souvienne et s'inquiète parce que cela voulait dire qu’elle la considérait plus ou moins comme un membre de sa famille, ce qui était flatteur. Elle n'avait rien de cassé, mais elle se souvenait de la mort qu'elle avait subi dans l'une des possibilités alternatives qu'ils avaient vécues. Elle aurait pu ne jamais revenir.

Faire un gâteau avec celle qui était un peu comme sa fille était un bon moyen de faire fuir le cauchemar et les craintes qu'elle éprouvait relativement à tout ce qui s'était passé. Il était clair que la situation avait tout de cauchemardesque en ce qui concernait ceux qui avaient risqué de perdre quelqu'un, et il devait y en avoir d'autres qui avaient couru vers une personne qui leur était chère parce qu'elle avait fait partie de ceux qui avaient disparu et qu'ils étaient revenus en un seul morceau. Elle ne put s'empêcher de se demander si Artemis avait quelqu'un de ce genre. Elle fut ramenée à la réalité par la jeune femme qui suggérait le chocolat.

« En voilà une bonne idée, ma chérie. Le chocolat c'est une idée formidable. Allons-y, commençons à nous y mettre. »

Et pendant qu'elle plongeait les mains dans la pâte après avoir mélangé les ingrédients, elle l'écouta parler. Cela commençait à faire légion des enfants qu'elle gardait qui avaient retrouvé leurs souvenirs. Même la petite Jane s'était réveillée et elle n'était pourtant qu'un bébé alors que Maïa ne l'avait pas encore fait. Cela dit, elle avait l'impression que la situation de ce qui s'était produit pendant qu'elle était coincée dans cette histoire dingue faisait qu'elle avait encore moins envie qu'avant de changer. Elle avait peur de ce qu’elle était avant et il était évident qu'elle se refuserait toujours à devenir un monstre.

« Je n'ai pas changé, pour ma part, mais on m'a donné des indices sur la personne que je suis censée être. J’ai rencontré mon double d'une autre réalité. Et elle s'appelait Gothel. »

Maïa s'interrompit un instant, troublée par ce qu'elle avait en tête. Elle n'avait pas pour habitude de se reposer sur les enfants dont elle s'était occupée mais Evy était adulte et elle pourrait comprendre. Maïa avait besoin de parler de ce qui se passait à quelqu'un et l'occasion qui se présentait était trop précieuse pour la laisser échapper. Elle finit par relever la tête vers la blonde aux longs cheveux et croiser son regard d'un air pensif et un peu triste.

« Je ne suis pas sûre de vouloir laisser remonter à la surface à celle que j'étais auparavant. Je n'ai pas envie de redevenir une mauvaise personne qui a séquestré une innocente jeune fille depuis sa naissance, jusqu'à en ce qu'elle n'en meure. »

Il n'y avait rien de mieux que de préparer des desserts au chocolat en compagnie des enfants dont elle avait la charge ou des anciens qui revenaient lui rendre visite. Elle avait toujours aimé ce genre de petits moments avec les enfants. Ça ne revenait pas cher et c'était facile à faire, même si l'argent n'avait jamais été un problème en ce qui la concernait. Elle avait un joli manoir au balcon orné de balustrades, avec de grandes pièces couvertes de tapis dont un grand nombre ne manquaient pas d'être précieux, et c'était par l'envie d'avoir des enfants dans sa vie qu'elle avait décidé de partager ces richesses avec ceux qui en avaient besoin.

Elle se souvenait d'une période dont elle ne savait pas si elle avait réellement eu lieu ou pas où sa petite protégée avec qui elle parlait en ce moment avait eu le droit d'aménager sa chambre à son goût et où Maïa n'avait pas lésiné sur les frais. La jeune fille avait bon goût et avait notamment porté son choix sur un tableau représentant la campagne française, à l'automne. Avec le papier peint qu'elle avait choisi, un peu plus pastel mais dans les mêmes tons, les coloris roux du tableau était allé magnifiquement avec le décor de sa chambre. Elle avait toujours été une jeune femme pleine de goût. Elle revint à la réalité lorsque la jeune fille exprima ce qu'elle avait comme opinion vis-à-vis des révélations qu'elle avait eu pendant sa mésaventure.

« J'espère bien que je serai toujours celle auprès de qui tu as eu l'impression d'avoir un toit et une famille », dit-elle en repoussant un bocal d'olives pour rattraper un rouleau à pâtisserie. « Je ne pourrais pas être plus fière de qui que ce soit que de vous tous, mes enfants dont je me suis occupée. Toi comme tous les autres. Tu es une jeune fille extraordinaire et je suis fière de ce que tu es devenue. »

Elle s'interrompit dans son geste en l'entendant dire qu'elle n'était d'autre que la princesse Raiponce, telle qu'on la connaissait dans les contes de fées. Si elle se permettait de le lui dire après lui avoir donné autant de réconfort et qu'elle lui eut avoué la personne qu'elle pensait être, il pouvait être facile d’en déduire qu'elle ne devait pas être la Gothel qui l'avait enfermée où elle ne le lui aurait pas dit de cette façon-là. Mais elle resta, un instant, interdite quand-même avant de poser un regard doux sur elle. Il lui semblait avoir passé tellement de nuits à veiller sur son sommeil, surtout quand elle était malade. Quoi qu'elle ait fait, la version qu’elle était aujourd'hui avait su prendre soin d'elle.

« Es-tu en train de me dire que, quoi que je sois bien une Gothel, je ne suis pas celle du conte d'origine, que tu ne me reconnais pas comme telle, c'est bien ça ? »

Quelque part, c'était un double cadeau que la vie lui avait donné en associant des souvenirs entre elles et la véritable Raiponce. D'abord parce que le lien de mère et de fille qu'elles avaient établies était réel et profond, et ensuite parce qu'il lui fallait bien reconnaître qu’elle était la seule à pouvoir la soulager de la pression qu'elle éprouvait au fait de peut-être être une méchante personne dans sa vie d'origine. S’il y avait quelqu'un qui pouvait dire avec une certitude absolue que ce n'était pas le cas, ou en tout cas, pas en ce qui la concernait, c'était la jeune fille aux longs cheveux blonds.

Et elle le lui assura avec une velléité qui ne laissait place à aucun doute. Il était plus que certain que ce n'était effectivement pas elle qui avait commis ces atrocités là. Rien ne lui démontrait que son propre variant, qu'elle représentait, n'avait pas commis des atrocités sur une autre Raiponce, mais il n'y en avait pas une pour témoigner de cela et tant qu'elle ne l'avait pas rencontrée, elle ne pourrait pas dire ce qui en était. Elle pourrait juste dire qu'il était certain qu'elle ne correspondait pas à la sorcière du conte de la jeune femme avec qui elle avait des souvenirs communs.

« Je te remercie, ma chérie, mais il est difficile de dire exactement si la personne que j'ai été était vraiment une bonne personne. Je ne le saurai que si je m'en souviens ou que quelqu'un témoigne à ce sujet. Mais je suis déjà heureuse de ne pas t'avoir torturée. »

Cette façon de dire les choses pouvait être un peu étrange, mais c'était sincèrement ce qu'elle voulait dire, en ce sens qu'elle avait réellement le sentiment qu'elle n'aurait pas supporté de torturer une personne qui lui était si chère au cœur. Il y avait tellement de possibilités, de déviance et de variances, sans que l'on puisse savoir les notions de bien ou de mal à ce sujet. Elle se rappela la personne qu'elle avait rencontrée pendant cet étrange voyage à la fois sombre et terrifiant. Quelque part, elle était à la fois Gothel et Raiponce, même s'il y avait eu une Raiponce dans ce monde, malheureusement décédée.

« Celle que j'ai rencontrée au cours de mon voyage avait épousé un prince et elle était reine. Elle utilisait son don pour se battre pour la justice et elle avait même un enfant qui avait les mêmes pouvoirs qu'elle. Elle avait de longs cheveux blonds. C'était une personne généreuse et plein d'amour. J'aimais bien ce variant de moi-même. J'aurais fait n'importe quoi pour lui venir en aide. »