Retour à la réalité - Mary & Katniss

C’est à pas feutré que je pénètre dans mon ancienne boutique. J’ai toujours les clés et l’intérieur est intact. J’appuie sur l’interrupteur de la pièce et mon souffle s’arrête, perturbée face à l’étrangeté de la situation. Moi, devant le plus gros mensonge de ma vie : Kate Easton. Je grimace en le pensant presque à haute voix. Mon cerveau devait être sacrément endommagé pour en venir à se créer une nouvelle vie, une nouvelle identité, oubliant la totalité de mon passé. Et quel passé… Je me comprends finalement, tout le monde souhaiterait oublier ce genre d’évènements peuplés de sang et de mort. Cependant, c’était faible de ma part d’agir de la sorte. En oubliant mon passé, j’avais réduit à néant les souvenirs qu’il me restait de Prim, ceux de Gale, de maman, d’Effie et Haymitch. Tant de personnes sur qui je pouvais compter, que j’ai laissé tombé et que j’ai tout bonnement souhaité oublié. Je jouais la petite vendeuse d’herbe et soigneuse au naturel, la jeune femme de bonne famille, celle qui ne se prend pas la tête et pour qui tout va pour le mieux. C’est indécent. Pitoyable.

Je ne remercierai jamais assez ce gigantesque dragon de m’avoir remis les idées en place. Je me sens atrocement moins bien, mais je ne me mens plus. Je hais les autres, je hais ce que je suis et je reste planquée dans ma cabane en forêt.

Enfin… à quelques exceptions près. Il faut bien que je revienne en ville pour faire quelques emplettes que seule la nature ne peut me donner. Mais c’est les nerfs à cran et les sens en ébullition que je viens ici. Je m’empare de quelques sachets de différentes herbes et fouille dans les tiroirs pour y trouver un carnet rouge… Voilà. Je mets la main dessus. C’est la première fois que je reviens ici, j’étais partie en catastrophe il y a quelques semaines, lorsque je suis revenue à la réalité.

Un bruit me fait sursauter, je me retourne en brandissant mon arc à la vitesse de l’éclair.

- Qui est là ?!

Je soupire en baissant mon arc pour le ranger dans mon dos. Je perds vraiment la tête. Mes pouvoirs ont beaucoup de mal à revenir, et la fiabilité de mes sens avec. Je ne l’avais même pas repérée, ça aurait pu me couter cher si jamais j’étais tombé sur une personne qui voulait ma peau. Mais plus rien de tout cela n’est d’actualité. Il faut que je me mette dans le crâne que je ne suis plus à Paname, mais sur une toute nouvelle île inconnue, sans un visage que je connais. Pour le meilleur et pour le pire…

- Désolée Amy. Je suis sur les nerfs.

Je l’observe s’aventurer dans mon ancien lieu de travail. Je l’avais vu de nombreuses fois faire ce trajet, de sa boutique à la mienne et inversement, et pourtant je garde l’impression que je ne l’avais pas vu faire de mes yeux, mais de ceux d’une autre, Kate. Je refuse tout bonnement cette identité.

Elle me sourit mais je ne parviens pas à lui rendre, comme si mes muscles à ce niveau avaient été figé à jamais.

- Tu peux les reprendre. Je ne pense pas revenir, à vrai dire. Excuse-moi d’être partie du jour au lendemain sans donner le moindre signe de vie. Mais tu dois savoir ce que c’est, j’imagine… Mary.

Mary, Amy, apparemment elle aussi s’était forgée une autre identité. Quelle était la vraie ? Peu m’importait, vraiment. Je la regarde s’emparer des différents dossiers avec une étrange mélancolie. Cette infection nommée Kate semble encore grouiller en moi, comme si cette boutique, ces clients allaient me manquer.

- Si jamais certains me cherchent, je suis toujours en capacité de les aider. Je suis dans la forêt, pas loin de la lisière. Mais je suis certaine que tu sauras mieux les écouter que moi, maintenant.

Ceux qui aimaient bien Kate seront surpris quand ils se frotteront à moi. Je suis incapable d’écouter mes maux et mes problèmes, comment pourrais-je aider à surmonter ceux des autres ?  

- Katniss, dis-je en soupirant légèrement.

J’enregistre le réel prénom de mon ancienne associée, Mary. Adieu Amy, adieu Kate. C’est tout de même très étrange ce phénomène de se créer une tout autre identité. Malgré toutes les absurdités qui se passent en ville, cela reste incompréhensible. Je suis en effet loin d’être la seule dans ce cas-là, et sans doute bien d’autres sont encore piégés dans une fausse vie qu’ils croient leur. Auparavant, je les aurais aidé, ces gens-là. Désormais, tout ce que je souhaite est de m’isoler dans la forêt et de me contenter de deux ou trois discussions par semaine. Plus, c’est devenu trop pour moi.

Je hoche la tête, approuvant ce qu’elle devine.

- Je suis pas du genre à demander de l’aide.

Et d’ailleurs je ne suis pas certaine d’en avoir besoin. De l’aide, pour quoi faire ? Me redonner le goût à la vie ? Si elle savait tout ce que j’ai fait pour en arriver là, elle partirait en courant.

- Mais tu as plutôt raison, je supporte pas le fait de m’être cachée sous une fausse identité. Identité qui était, en plus, totalement l’opposé de qui je suis réellement. J’ai beaucoup de mal avec les autres, alors je m’isole. Cela dit, je serais toujours prête à user de mes compétences pour ceux qui en ont besoin. Donc… Je ne travaillerai plus ici, mais là-bas.

Je me demande comment elle prend tout cela, elle. À la légère, me semble-t-il. On a pas tous la même vie.