Le gardien des secrets

Ft. Les Cinq Légendes

La nuit, était tombée depuis un moment déjà sur Baiame pour autant, cela n’empêchait pas Aster de rester dans son laboratoire, La St Valentin passé, il devait s’occuper de la fête la plus importante du calendrier à ses yeux : Pâques. Et autant dire que s’il ne lésinait pas sur la qualité d’une manière générale, il redoublait d’effort à l’approche de cette fête, chaque année se devait d’être différente de l’autre, à quoi bon être un artisan si c’était pour toujours faire les mêmes choses ? Autant vendre des oeufs kinder à ce stade là. Cette pensée lui arracha d’ailleurs une grimace, le simple fait de voir les supermarchés remplis de ces chocolats bon marchés lui donnait de l’urticaire. Il ne jetait pas la pierre à ceux qui en achetaient, sauf peut-être aux abrutis sans le minimum de neurones requis qui ne comprennent pas ce que le mot “artisanat” voulait dire. Aster savait que tout le monde ne pouvait pas s’offrir du chocolat en chocolaterie. Et c’était pour ça, qu’il faisait toujours en sorte de faire don d’une partie de son stock à des associations œuvrant pour les plus démunis. Il jetait plutôt la pierre aux industriels qui se montraient peu scrupuleux sur le choix de leurs ingrédients ou du respect des normes d'hygiène.

N’ayant plus de familles et pas vraiment d’amis proches, Aster pouvait veiller autant qu’il le souhaitait. De plus, la boutique était exceptionnellement complètement fermée pour 3 jours, il faisait une exception pour les professionnels, mais le public lui n’y aurait pas accès. Il avait besoin de faire un inventaire, s’occuper de la facturation, comptabilité et autres trucs joyeux liés à l’administratifs. Et ça il pouvait le faire de chez lui, en même temps que de rattraper ses heures de sommeil perdues à cause de ses élans créatifs, et puis de toute façon il avait presque terminé. Étouffant un bâillement, il mit la touche finale à son œuf de Pâques, non sans fierté car il s’était surpassé cette fois-ci. Sa collection de Pâques serait encore meilleure que l’année dernière, il s’était fait un devoir de miser autant sur le visuel que sur le goût et de sortir des sentiers battus, après tout un chocolatier était aussi un artiste et il était tout à fait normal pour lui de toujours chercher à faire mieux.

Il ne s’était en revanche pas attendu à être aussi épuisé, il avait à peine fait un pas chez lui, et déposé sa veste, qu’il s’effondra dans son fauteuil, laissant les rêves le submerger. S’il avait été conscient, peut-être se serait-il méfié, il faut dire que la dernière fois qu’il avait rêvé non seulement il avait décidé de se la jouer somnambule mais en plus, il avait été embarqué dans une pseudo aventure qui n’avait ni queue ni tête et dont au final, il n’avait même plus envie de chercher le côté rationnel. Quand on se retrouvait à côtoyer des mammouths et des titanoboa, on apprenait bien vite à laisser sa logique au placard et à simplement courir si on voulait vivre. Mais actuellement, tout était mêlé, il y avait le genre de songes qu’il faisait depuis un moment avant toute cette histoire d’animaux préhistoriques et de combat bizarre, ceux là étaient peuplés de silhouettes qui lui semblaient à la fois familière et à la fois distante, il ne savait pas très bien comment le décrire. C’était comme si une partie de lui les reconnaissait, mais que pour une autre il s’agissait d’inconnue au bataillon. En plus de ça, il y avait les rêves habituels ceux qui lui donnaient l’inspiration pour son travail et l’envie de se surpasser, et puis il y avait ceux qui ressemblaient à celui qu’il avait déjà fait auparavant, d’un endroit peut-être sous terre, entouré de verdure. Mais ils montraient des choses de plus en plus étranges, comme ce lapin géant qui ressemblait trait pour trait à celui en lequel il s’était transformé, était-ce justement son subconscient qui décidait de faire un joyeux mic mac de tout ce qui lui était arrivé récemment ? Ce ne serait pas absurde à bien y réfléchir.

Et au milieu de ce qui ressemblait à un amas de rêve sans queue ni tête, le voilà qui se retrouvait en compagnie de personnes qu’il ne connaissait pas vraiment. Il connaissait l'armoire à glace de vue, il savait qu’il tenait une boutique de jouets, certains de ses clients lui en avaient déjà parlé et il avait pu l'apercevoir quelques fois en ville mais c’était tout. Quant au deux plus jeunes, il était certain de ne les avoirs jamais croisé de sa vie et pourtant d’où venait cette étrange sensation de familiarité en les voyant tous les trois ? Pourquoi trois parfaits inconnus lui donnaient-ils cette impression de déjà-vu ?

- Oh c’est pas vrai, ça va pas recommencer.

Parce que oui, cette sensation il l’avait déjà eu la dernière fois, et il n’avait aucune envie de revivre quelque chose de similaire

- Bon écoutez, que vous soyez du TVA ou de je ne sais quoi, j’en ai rien à carrer, c’est bon  j’ai eu mon quota d’emmerde la dernière fois entre les mammouths, les serpents géants, les anomalies temporelles et j’sais pas quelle autre conneries.

Oui non parce que trop c’est trop à un moment, Aster n’était pas leur cobaye, ils n’avaient qu'à trouver d’autres habitants de cette fichue île et le laisser vivre sa vie tranquille, le deal était honnête, c’était pas comme s’il demandait la lune non plus merde à la fin.  

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Dire qu’il n’était pas ne serait-ce qu’un chouïa méfiant, ce serait mentir. Après tout ce qui avait pu lui arriver, il était normal qu’Aster ne soit pas plus que ça emballé à l’idée d’être dans un rêve quand bien même le blondinet muet le rassurait avec ses créations. Le fait qu’ils ne soient pas dans la réalité devait sûrement jouer à ce que ces images dorés prennent vie, ça éviterait au chocolatier de faire une bourde ainsi. Plus d’une fois il s’était fait la réflexion concernant l’apprentissage de la langue des signes, malheureusement il était tellement occupé dernièrement qu’il n’arrivait pas à se dégager du temps pour autre n’ayant pas de rapport direct avec le travail. Pourtant, Aster n’arrivait pas à faire partir le sentiment de familiarité qu’il avait éprouvé plus tôt, c’était comme s’il se renforçait et s’il n’avait pas spécialement envie de faire parti de tout ce délire, il supposait que c’était là son unique moyen d’en découvrir plus.

Cependant il ne pouvait s’empêcher de jeter un regard méfiant aux lapins avec des bois de cerf, ça réveillait quelque chose en lui, il ne saurait pas trop comment l’expliquer c’était comme si une part de lui bien enfoui et qui ne demandait qu’à se manifester prenait le contrôle. Un effet secondaire du rêve peut-être ? Il n’y avait que cette explication qui lui semblait à peu près rationnelle, car tout ce dont il était certain c’est la réaction que lui provoquait cette vision et clairement c’était pas la même que celle de Nikolaï. Pour lui ces lapins en train de tirer un traîneau c’était plus proche de l’hérésie qu’autre chose :

- Rassurez moi, il y a quelqu’un qui sait conduire cet engin ? Parce qu’il est hors de question que j’monte là-dedans si c’est pas le cas.

Même si c’était un rêve, Aster n’avait pas spécialement envie de risquer sa peau ou de finir malade, la simple vue du traineau lui filait de l’urticaire. Peut-être un trauma d’enfance bien enfoui, il n'était pas certain d’avoir envie de se pencher sur la question, vraiment ça irait. C’est vrai que ce serait plus facile de se laisser aller aux sensations qu’il ressentait et d’essayer de comprendre pourquoi ces impressions familières et pourquoi il était autant contre l’idée de monter dans un traîneau. Il n’était pas hyper cartésien au point de ne pas croire qu’ils étaient les seuls dans l’univers par exemple, ou que certains aspects surnaturels comme les fantômes n’existaient pas. Même s’il n’en avait jamais rencontré et que les histoires de revenants ne lui faisaient ni chaud ni froid.

- Et puis des lapins en guise de rennes sérieux ? Et pourquoi pas le Père Noël qui distribue des œufs en chocolat pour Pâques tant que vous y êtes.

Il ne savait pas trop d’où cette remarque venait, ni pourquoi il était subitement pris d’une envie de taper le sol avec son pied, comme si ça allait aider à faire apparaître quelque chose. C’était pas qu’il ne voulait pas jouer le jeu et être le grincheux de service à la traîne pendant que les autres s’amusaient, c’est juste que ça arrivait un peu au mauvais moment, et qu’il avait du mal à faire confiance à ces gens quand bien même une petite voix semblait lui souffler qu’il s’agissait là de sa meilleure option. Peut-être était-il un peu trop à cran, et qu’il devrait se détendre. C’était une remarque qu’on lui faisait souvent, généralement il se contenter de l’ignorer parce que après tout ça ne regardait que lui merci bien.

- D’ailleurs, est-ce qu’on est vraiment obligé de monter là-dedans ? J’sais pas pourquoi mais ça m’inspire pas confiance.

Il ne voulait pas le dire, mais l’unique pensée de monter dans le traineau lui soulevait le cœur, et lui collait la nausée. Vraiment la piste du trauma enfouis semblait être à exploiter. Comment l’expliquer autrement ? Qu’ils soient dans un rêve c’était pas la première chose bizarre qui lui serait arrivé dernièrement, mais avoir l’envie de vomir rien qu’à l’idée de monter dans un traineau, ça ne pouvait pas simplement apparaître comme ça de nul part, devait bien y avoir quelque chose, un élément déclencheur ou il ne savait quelle autre connerie.

- D’ailleurs, il y a une raison particulière à pourquoi on est tous ici ? Demanda-t-il au muet.

Il semblait être celui qui en savait le plus, alors c’était pas couillon de lui poser la question. Pourquoi quatre parfait inconnus se retrouvaient à partager le même rêve ?