Les affaires sont les affaires [Ocean & Venceslas]

C’est avec un grand soulagement que je passe la porte du Roni’s bar. Enfin je peux souffler ! Bosser toute la soirée et entamer la nuit entourée de pochtrons et de vieux pervers dégueulasses, tout ça bercée par la douce musique cinglante qui vous déchire les tympans… Je trouve que je mérite un peu de repos. D’un autre côté, je cherche peut-être les problèmes : je sors d’une boîte de nuit pour entrer dans un bar.

Je m’installe à une table sans attendre qui que ce soit pour me placer et attends que l’on vienne me demander ce que je veux. À savoir : de la paix ! Pas certaine que je la trouverais ici.

Une serveuse vient finalement à ma rencontre en se trémoussant parmi les gros lourdeaux qui lui servent de clients. Je lève les yeux au ciel devant l’attitude pathétique de la jeune femme. Elle n’a pourtant pas besoin de ça… Je lui commande froidement un diabolo menthe et jette un œil assassin à mon voisin de table qui ne se dérange pas pour me reluquer. Il rit à ma réaction mais continue. Ce que j’en ai ma claque…

La serveuse finit par revenir avec ma boisson que je paie directement. Je sirote tranquillement en parcourant mon téléphone portable, faisant fi des regards ou remarques qui me seraient destinées. Jusqu’à ce qu’un énorme trou du cul décide de monter sur ses grands chevaux et s’assoit en face de moi, à ma table. Je m’empresse de lui faire comprendre poliment que je ne veux pas de sa face de rat dans mon champ de vision.

- Euh… Excuse-moi, je suis là il me semble, tu peux dégager ?

- Les mots comme ça ne résonnent pas bien avec ton joli visage ma jolie. Dit-il en m’exposant les trous dans ses dents.

- J’ai passé une sale journée, tu dégages ou j’te défonce. À toi d’voir.

- Est-ce que je peux t’offrir une rose ? Mon numéro ?

C’en est trop. Je me lève brutalement, en enfonçant la table dans sa bedaine. Alors qu’il grimace et se redresse pour me faire face, j’attrape mon verre encore plein et lui envoie à la figure, le liquide coulant dans ses cheveux et ses vêtements.

- Je préfère que tu te la foutes au cul, ta rose. Et oublie pas de l’arroser, ça fera peut-être un truc sympa à voir quand on te regardera.

Connard. Je profite du bordel pour me faire une place entre les gens et venir m’installer directement au comptoir, à côté d’une personne qui, j’espère, sera assez intelligent pour pas me mettre plus en rogne.

Je soupire et sourit de lassitude lorsque le serveur pose un verre que je n’ai pas réclamé devant moi, et que mon voisin m’adresse la parole. J’ai dû en faire de sales choses dans ma vie pour m’en prendre autant plein la tronche.

- Balancer mon verre dans la tronche, je viens de le tester. Je sais pas si c’est bien efficace si tu veux mon avis. Il va pas tarder à venir réclamer son dû d’ailleurs. Dis-je sans poser les yeux sur mon interlocuteur.

J’avale une grosse gorgée du verre en grimaçant. Au moins, ça revigore.

- C’est pas de l’alcool qu’il me faut, plutôt quelque chose qui fouterait les jetons aux gros nigauds qui s’approchent trop près de moi.

Genre une épée, pour les couper en petits bouts.

La réponse de mon voisin réveille mon intérêt. Je disais simplement ça comme ça, que j’avais besoin d’une arme pour virer les autres imbéciles, mais si ce gars a la capacité de me fournir, je ne dis pas non. Ce n’est pas mon visage que je tourne vers lui, mais mon corps entier que je pivote sur le tabouret, montrant ainsi tout l’intérêt que je porte à cette nouvelle conversation.

- Je pensais pas tomber un jour sur un mec qui ait la capacité de m’aider, dans ce bled. Ravie. Je m’fiche un peu de savoir où tu te procures ta came, mais ouais, je pense que tu viens de dénicher une cliente. Lui dis-je en souriant.

Je lève les yeux au plafond, imaginant toutes les sortes d’armes dont je pourrais avoir besoin. Une arme à feu… Je ne me vois pas trop manipuler ce genre d’engin. J’aurais trop peur de me mettre une balle dans le pied sans le vouloir. Oui, je sais, le cran d’arrêt, tout ça… N’empêche que ça ne me donne pas envie, j’ai du mal à faire confiance à un bout de ferraille.

Non, pas d’arme à feu…

Une épée, par contre… Un sabre, des couteaux de lancés, ça me va beaucoup plus.

Je sens un sourire étincelant se former sur mes lèvres alors que je m’imagine en train de trancher quelque chose avec une épée.

- Je sais ce qu’il me faut. Une arme blanche. De la longueur de mon bras, un peu courbée vers le haut, qui se termine en pointe. Avec un manche pas trop épais, j’ai des petites mains. Et bien tranchant évidemment. Une machette. Tu pourrais me trouver une machette ?

Mon sourire en coin s’agrandit alors qu’il me dit qu’il pourra trouver ce que je recherche. Décidément, je ne pensais pas tomber sur un type du genre aujourd’hui. Et encore moins quelqu’un qui allait me fournir en arme blanche. Si je l’avais su en me réveillant ce matin, j’aurais fait en sorte d’apporter un plus gros pactole que ça dans mes poches ! Je ne suis pas certaine que ce que je possède actuellement lui suffira. En fait, je n’ai pas la moindre idée de ce que ce genre d’affaire peut coûter. J’imagine qu’il faut mettre un minimum de prix, car trouver une machette, peu importe sa façon de procéder, peut s’avérer dangereux.

- C’parfait.

C’est réglo, comme il le dit si bien. Je ne connais pas son nom, il ne connaîtra pas le mien, tout baigne. Je n’ai pas vraiment l’habitude de ce type de trafic, mais j’imagine bien le process, alors je me fait arrangeante. Enfin…

Alors que je sors ce que j’ai des différentes poches de mon jean et de ma veste, je ne parviens qu’à sortir les deux tiers de ce qu’il me demande. Je grimace en posant mon faible butin sur le comptoir.

- Ah si, attends.

Ce n’est pas facile d’être une nana dans ce bled -et même partout ailleurs-, apparemment les mecs nous considère plus facile à détrousser. Ça m’est déjà arrivé plusieurs fois d’ailleurs, alors que je me baladais la nuit dans la banlieue Sud. Je n’avais plus rien après ça, ils avaient emporté avec eux tout le pactole de ma semaine de travail. Quels chiens… Depuis ce triste événement, je m’arrange pour en fourrer un peu n’importe où sur moi. Et ce qui est bien, c’est que nous les nanas, avons beaucoup plus d’endroits où camoufler du pognon.

Je baisse la fermeture éclair de ma veste et sors quelques billets de mon soutien-gorge sans me cacher. Puis je lève ma jambe pour poser la semelle de ma botte sur le tabouret. Je sors d’autres billets de ma chaussette.

La totalité de mon butin cette fois sorti de toutes mes cachettes, je les compte rapidement avant de les tendre à l’homme.

- Bon, c’est tout ce que j’ai sur moi. Il manque trois billets sur la totalité. Si j’te les amène une fois que tu m’as trouvé ce que j’cherche, ça pourrait l’faire ? Tu peux compter sur moi, j’ai vraiment besoin de cette machette.

Je lui lance un petit sourire, heureuse que cette affaire soit presque réglée. Enfin, à vrai dire, elle ne fait que commencer, mais au moins les dés sont lancés et les jeux sont faits. Je le regarde empoigner mes billets et les recompter avec attention. Mh, je n’ai pas affaire à un novice en la matière à mon avis.

- Super, c’est du rapide, dis-je avant d’avaler la fin de mon verre. On fait comme ça. Même lieu, même heure ?

Je me demande bien de quelle façon il va réussir à dénicher une machette en aussi peu de temps. Mais de toute façon, ça ne me regarde pas, qu’il l’achète ou qu’il la prenne sur un corps sans vie, le résultat sera le même : je l’aurai en ma possession et je serai enfin respectée par ceux qui s’approchent trop de moi.

- Dis-moi, tu recèles d’autres trucs du type ? C’est quand même dingue que je tombe sur un type comme toi. J’t’ai jamais vu et quand j’ai besoin bim, t’apparais.

Pas que j’ai forcément besoin d’autres choses dans l’immédiat, mais il est toujours bon d’avoir ce genre d’adresse dans ses petits papiers.