Cauchemars frissonnants - Roni & Ocean

Mon cœur bat la chamade cet après-midi. Je me suis encore une fois réveillée en sursaut d’un rêve sans queue ni tête. J’en fais énormément ces derniers temps. Ils n’ont aucun sens seuls, mais étrangement c’est comme si, mis bout à bout, ils signifiaient quelque chose. Une histoire, le fragment de la vie d’une autre personne. Peut-être que je devrais peut-être en écrire un bouquin, ça ferait des aventures incroyables à compter. Je gagnerai sans doute très bien ma vie avec cette imagination. Mais l’argent je m’en fou. Moi tout ce que je veux c’est dormir en paix. Et puis… Rares sont les rêves bienveillants. À croire que mon subconscient a été forgé dans les flammes de l’enfer. Sérieux, qui rêve de faire une arène de duel à mort ? Moi, apparemment.

Finalement je ne vais pas en faire un bouquin, je serai directement internée à ce rythme.

L’envie de me changer les idées dans un coin de ma tête, mes pas me mènent d’eux-mêmes au Roni’s bar. J’y suis déjà allé, c’est plutôt pas mal. C’est calme, ça change des autres endroits où le moindre gueulard est immédiatement accompagné d’autres. Et puis ça me fait plutôt du bien de me poser du « bon » côté du bar. Cliente plutôt que serveuse.

Encore désarçonnée par mon rêve sanglant de cette nuit, je m’installe sur l’un des tabourets du comptoir, les yeux dans le vide.

Je n’entends pas lorsque l’on me demande ce que je veux, je finis par revenir à moi après plusieurs répétitions de la pauvre femme qui doit me prendre pour une grande tarée. Je lui souris, gênée.

- Excusez-moi, j’étais dans mes pensées. J’aurais envie d’alcool fort mais j’ai peur que ça empire. Je soupire. Vous auriez un truc plus doux ?

En fait, et contre toute attente, j’aurais surtout besoin de lâcher du leste et d’avoir quelqu’un à qui parler.

Parfois, il m’arrive de rêver de magie. De contes de fées et bizarrement de Blanche Neige. Une jalousie profonde qui m’enserrent les entrailles, de l’éclat de la rougeur du fruit défendu. Dans ces cauchemars étranges, je retrouve une petite ville, des personnages de contes qui semblent piégés dans le temps. Puis ce tatouage, ce tatouage de lion…je ne sais que penser lorsque j’ouvre les yeux. La magie ça n’existe pas, si ?! Bien rapidement, une fois levée, je reprends contenance et démarre ma journée comme si de rien n’était. Cependant, chaque nuit, ça recommence et entaille légèrement toutes les certitudes que je me suis forgée au fil de ma vie. 

L’esprit perdu, j’essuie les verres, installée derrière le comptoir alors que le temps est au calme. Finalement, je lève le regard et croise la silhouette d’une jeune femme qui s’est installée au comptoir. Soupirant, je range les derniers verres et me dirige vers la jeune femme avant de lui demander ce qu’elle désire. La jeune femme ne me réponds pas mais je la reprends rapidement avec un sourire. 

« Qu’est-ce-que vous souhaitez mademoiselle ?! » 

Finalement elle me répond. Je ris légèrement avant de reprendre la parole. 

« J’ai un cidre fait maison si ça vous dit ? Assez fort pour vous détendre mais assez doux et sucré pour ne pas vous faire tourner la tête. » énonçais-je avec un sourire. 

M’humectant les lèvres, je finis par reprendre la parole. 

« Vous avez besoin de parler n’est-ce-pas ? » 

Je hoche la tête accompagnant mon soulagement par un faible sourire.

- Va pour un cidre alors. J’vous fait confiance.

Fort et doux à la fois, je pense qu’elle a misé exactement sur le breuvage qu’il me fallait. Quelque chose qui puisse m’enlever ce noeud de pensées incongrues de la tête mais en même temps qui ne me fasse pas vomir tripes et boyaux dans le prochain caniveau que je croise. Ça m’est déjà arrivé plusieurs fois, et franchement je ne recommande ça à personne.

Je regarde la patronne en plissant les yeux, agacée par son attitude rentre-dedans, mais finit par soupirer, lasse de devoir tout garder pour moi. Je crois qu’effectivement, j’ai juste besoin d’en parler. Et mon Dieu, pas à un psy. C’que j’ai horreur de ces gens-là… Peut-être qu’elle est la bonne personne finalement. Elle doit être habituée à entendre les plaintes de ses clients, je sais de quoi je parle. Dans mes débuts, j’écoutais et je donnais même des conseils. Maintenant je les envoie bouler un à un, généralement. Sérieux, y’a pas marqué « psy à l’écoute » sur mon front ! Mais pour le coup, là c’est elle qui propose, alors pourquoi pas…

- J’pensais que non, mais si. Ça devient compliqué de tout garder pour moi, j’vais finir par exploser à un moment. Je soupire une nouvelle fois, ne sachant pas vraiment par où commencer. Vous allez sans doute me prendre pour une dingue mais… Je fais des rêves… Non. Des cauchemars, vraiment très étranges. Et c’est comme si… C’est dur de mettre des mots là-dessus, c’est comme si je connaissais ce cauchemar, comme si je l’avais déjà vécu. Un semblant de « déjà-vu », voyez ?

Je ne m’attends pas à ce qu’elle comprenne quoique ce soit. Mais rien que de mettre des mots sur ce que je vis ces dernières semaines me soulage un peu.

Je sers un cidre à la jeune femme et lui souris, essayant de la mettre en confiance par la même façon. Je me sers un verre à mon tour avant de reprendre la parole lorsqu’elle m’explique que ça ne va pas, qu’elle fait des cauchemars.

« Il faut croire que nous sommes dans la même situation. » expliquais-je alors.

Attrapant mon verre, je le vide rapidement avant de me remplir un nouveau verre et pose mon regard sur la jeune femme.

« On dit souvent que les rêves sont des souvenirs d’une autre vie. » lâchais-je alors, ne sachant pas vraiment d’où je tenais ça « il m’arrive depuis quelques temps de faire ce genre de cauchemars également, comme si c’était des rêves éveillés. » expliquais-je « Donc du coup, je ne suis pas dingue donc je ne pense pas que vous le soyez non plus. De quoi parle vos « cauchemars » ? » demandais-je alors.

Après l’avoir remerciée, je n’attends pas pour ingurgiter les premières gorgées de la boisson ambrée. Les petites bulles pétillantes éclatent contre mon palais et l’effet est très agréable.

Les paroles de la femme attirent plus que nécessaire mon attention. Elle aussi fait des cauchemars récurrents ? Je ris légèrement face au ridicule de ce petit proverbe lancé à la volée. Un rire peut-être un peu flippé, ne le cachons pas.

- Attendez d’entendre de quoi racontent mes rêves avant de m’affirmer que je suis pas dingue, noté-je en souriant. Et d’ailleurs j’espère que l’histoire des rêves qui sont des souvenirs d’une autre vie est une immense connerie, sinon je vais aller m’enfermer moi-même au commissariat.

Je soupire fort et plonge à nouveau mes lèvres dans le cidre. Je me remémore quelques uns de mes pires cauchemars avant de me lancer.

- La nuit, je suis sale, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Il m’arrive d’être sur une sorte de trône, je donne des ordres, beaucoup. Je regarde les autres combattre et se tuer, comme les gladiateurs. Je combats, presque tout le temps. Y’a quelques moments doux avec un homme qui se transforment en horreur lorsqu’il s’écroule dans la boue, mort. Je vois une femme blonde aussi, et un homme brun aux cheveux bouclés… J’ai l’impression que je les hais autant que je les apprécie. Et… mon regard dans le vide s’ancre à celui de la barmaid, je suis remplie de doute, de regret et de colère. J’ai du sang sur les mains, sur le visage, partout. Après un court silence, je ris pour me rassurer. Vous voyez, je suis sans doute tarée pour rêver de ce genre de choses.

En tout cas, je préfèrerai être complètement folle et écouler mes jours en hôpital psychiatrique que d’admettre que tout ce bordel sanglant fait partie d’une autre de mes vies.

- Et les vôtres ?

J’écoutais avec attention ce que me disait la jeune femme. Pour tout dire, j’avais entendue dire que les rêves étaient les souvenirs d’une autre vie. Je ne saurais dire d’où je tenais ça mais je commençais à y croire. Cependant à l’entente des rêves de la jeune femme, je vins à la regarder avec un véritable intérêt. Je dois avouer que ce n’était pas commun comme situation, clairement pas mais après tout, peut être qu’elle demeurait bien différente de qui elle est vraiment, sait-on jamais. Buvant une gorgée, je pose mon verre avant de lever mon regard vers la jeune femme.

« Peut être pas tant que ça… » avouais-je alors avant de reprendre la parole « De mon côté, je me découvre avec de multiples pouvoirs magiques. Je…en fait, je crois que dans mes rêves, je suis la méchante reine dans Blanche Neige mais pas celle de Disney, quelqu’un de différent, avec une histoire différente. Je me revois bouillir de rage à l’intention de la princesse. Je revois un sortilège, une petite ville du Maine. Parfois, je vois le visage d’un archer, d’une femme entièrement verte, puis d’une vendeuse de glaces avec les pouvoirs de la reine des neiges…c’est dingue je vous l’ai dit. » lâchais-je alors « mais avec tout ce qui se passe en ville, ça me parait pas si fou; » avouais-je alors.

Je ne pensais pas un jour avoir ce genre de conversation avec une parfaite inconnue. Mais je sais de source sûre que le métier de barmaid nous donne une étiquette de psy aux yeux de certains clients. Aujourd’hui c’est mon tour, pour une fois que ça se passe dans ce sens-là.

Tel un miroir, je l’écoute à mon tour avec attention en buvant quelques gorgées de ce délicieux cidre. Je fronce les sourcils avant de les hausser lorsqu’elle mentionne Blanche-Neige et la méchante Reine.

- C’est dingue, vous rêvez de contes ? En tout cas laissez-moi vous dire que vous ne ressemblez pas à la belle-mère de Blanche-Neige. À moins que ce cidre soit empoisonné ?

Pourquoi pas détendre un peu l’atmosphère, finalement… Ces histoires de cauchemars et d’autres vies me font tourner la tête. Si elle s’avère être véritablement la méchante Reine, alors déjà je vais commencer à remettre en doute toute l’histoire de la création de cet univers, puis elle n’est pas si terrible que ça.

- Ouais, toute cette île semble cacher des trucs pas nets. La dernière fois, j’ai croisé un type qui se faisait passer pour un chevalier de la table ronde. Il était en armure et tout… Sérieux, c’est pas comme ça qu’on va réussir à reprendre le droit chemin. Et le lézard qui vole dans le ciel, on en parle ou pas ?

Ok, j’avais nécessairement besoin de parler. J’espère que ça ne la gène pas, parce que ma langue semble avoir la bougeotte aujourd’hui.