[fb] p'tite game ? • ft. peter ben.

Je peux passer chez toi ?

Il t’avait fallu beaucoup de courage pour demander ceci. Beaucoup trop. C’était très même assez amusant, du point de certains, de te voir aussi renfermé sur toi-même. Tu es un grand gaillard, athlétique et plutôt populaire auprès des filles ; mais plutôt que d’en profiter, tu préfères rester cloisonné dans ta chambre. Quoi de plus normal, après tout ? Tu crains le virage et de ce qui t’attend au tournant. Peur de te laisser griser par ces compliments et de finir comme ton père ; distant puis absent de la vie de tes proches, de ceux qui t’aiment vraiment.
En plus de cela, tu vois les autres comme une masse de charognard. Le moindre regard te juge et puisque tu ne sais pas lire dans les pensées, tu ne sais pas ce qu’ils pensent de toi. Si c’est bien, si c’est mal. S’ils se moquent, s’ils ont pitié. S’ils préparent leur prochain mauvais coup, s’ils veulent t’aider. Cette inconnue, elle est oppressante. Tu peux facilement appréhender les réactions en chaine d’un circuit imprimé mal connecté et corriger le tir avant que la surchauffe, puis l’explosion, n’ait lieu. Autant l’esprit humain n’est pas aussi simple à anticiper, parce que bien plus complexe qu’un enchevêtrement de puce, de résistance, de barrette et autres composants.

Ta mère t’avait appelé pour manger, mais tu n’avais pas immédiatement répondu. Tu avais la musique à fond dans ta chambre, car tu étais en train de finir un projet de techno. Au départ, il s’agissait d’un projet à présenter en groupe, mais puisque tu ne t’es pas manifesté et que ta classe est en nombre impaire, tu t’es retrouvé seul. Qu’à cela ne tienne, sur l’instant cela t’arrange. En revanche, tu vas te retrouver à le présenter tout aussi seul devant toute ta classe et là, tu vas regretter de ne pas avoir pris un partenaire. Ou d’avoir cherché à en avoir un. La musique quant à elle, elle t’aide à te concentrer. À isoler tes pensées du reste du monde et aussi, à te rendre sourd au bruit des notifications. Tu surveilles tout de même ton portable d’un coup d’œil, de temps en temps, afin de voir si Peter te répond, afin de ne pas lui poser un lapin après ta proposition, mais c’est léger. C’est facile à briser.

Tu poses la dernière pièce de ton puzzle informatique et au même instant, ta mère entre ; “Kuroo, ça fait trois fois que je t’appelle pour manger !” Te dit-elle d’un ton légèrement agacé. Elle croise les bras, se donne un air faussement autoritaire en te dévisageant, alors que tu te précipites pour couper la musique tout en balbutiant des excuses ; « Pardon M’man, mais regardes ! J’voulais absolument finir ça. J’vais le montrer à Pet’ cet aprem, pour qu’il me dise ce qu’il en pense. » Tu redémarre ton ordinateur et celui-ci réinitialises ses paramètres, tout en prenant en compte les modifications que tu as apporté dans ses composants, en ajoutant notamment une sorte de petit boitier. Ta mère ne comprend pas la “révolution” qui t’a demandé autant de temps, mais toi, tu viens de réduire le temps de démarrage, mais en plus, implanter une intelligence artificielle de gestion basique, capable d’analyser et de te donner l’état de santé de ton pc et d’agir en conséquent. Entre autres.

“Super, mais tu vas manger avant tout ça. Allez !”
Elle réussie et tu t’accordes une pause.

C’est un peu plus tard dans l’après-midi que tu te rends chez Peter. Tu avais mis dans ton sac à dos ton ordinateur portable, sur lequel tu avais pris le temps de brancher ta création, ainsi que ta manette car ton instinct te dit que vous n’allez pas être longtemps concentré sur ton “devoir maison” de techno.
Une sorte de boule au ventre te saisit. Elle apparaît toujours quand tu vas chez autrui, là encore parce que tu essayes d’appréhender et d’imaginer les réactions d’autrui. Ce qu’il pense de toi et de ton initiative à venir chez lui. Tu n’aimes pas ça, imposer tes décisions ou demander à aller chez d’autres personnes. Tu as l’impression d’être un squatteur, un forceur ; alors que tu es probablement le plus éloigné de ce qu’est réellement ce type de personne. Tu finis par toquer à la porte de chez Peter et tu attends. Là encore, tu n’oses pas entrer tout de suite, pour les mêmes raisons citées au-dessus, mais tu ne peux pas non plus totalement réprimer cette petite excitation à l’idée de lui montrer ta dernière création.

Tu attends sagement à la porte et tu ne fais pas de bruit. Tu attrapes ton téléphone, sur lequel tu regardes sans réellement regarder. Tu consultes tes dernières notifications, avec ton pc modifié sous le bras, et tu souries parfois amusé par les bêtises que des inconnus postent sur les réseaux. Un like ou deux se perdent dans le scroll infini qui t’aide à t’occuper, mais tu entends tout de même un certain raffut à l’intérieur. Tu te demandes ce qu’il peut bien faire, mais tu n’oseras jamais lui poser la question à vive-voix. Curieux malgré tout, tu glisses parfois un regard discret par la fenêtre, mais ton angle de vue n’est pas suffisamment bon pour que tu remarques quoi que ce soit. Tu ne t’impatientes pas pour autant, tu t’inquiètes.
Tu commences à te faire des films, à te demander si tu ne le déranges pas ou s’il n’avait pas prévu de recevoir de la visite aujourd’hui. Tu l’imagines te mentir pour ne pas te blesser, alors qu’en vérité tu l’enquiquines et qu’il aurait aimé avoir son après-midi tranquille. Cette imagination commence à appuyer sur ton mal être et tu hésites. Tu as ton téléphone en main. Tu pourrais lui envoyer un message pour lui dire que finalement non, tu ne viendras pas. Mentir à ton tour et fuir dans le sens opposé pour retourner chez toi.

Mais c’est trop tard.
Salut !

Le souffle court, la porte s’ouvre et tu le vois essoufflé. « Ça va ? » Demandes-tu par réflex en voyant qu’il avait été pris visiblement de court par ta visite. Tu t’en sentirais presque gêné, si seulement tu n’avais pas entendu ce gros bruit derrière la porte. Tu n’es pas gêné, tu es inquiet. Ou alors un peu des deux, à voir. En tout cas tu restes figé à la porte, tes mains bien cramponnées à ton téléphone et ton pc. « Tu faisais quoi ? J’ai entendu un gros bruit, t’étais en game ? » Cela pouvait être ça. Le son était étouffé par les murs et la porte, alors tu n’avais pas bien entendu de quoi il s’agissait. Tu avais juste entendu que c’était sourd et légèrement lourd. Une chute peut-être ? Tu n’insistes pas. S’il veut t’en parler, il le fera.
« J’peux entrer ? » Non pas que tu as froid où que tu veuilles te faire insistant, mais tu te demandes sincèrement, sans film, si tu pouvais. Avec ce gros bruit que tu as entendu, tu en avais aussi déduit qu’il était occupé, d’où : « J’peux repasser plus tard ou un autre jour, s’tu veux. C’est parce que j’aurais voulu te montrer un truc et avoir ton avis. »

Vous avez probablement déjà parler du cas des intelligences artificielles au cours d’un vocal, mais en toute honnêteté ; cela devait être tardivement, car tu ne te souviens plus de ce que vous vous êtes dit cette nuit-là, chacun au bout du fil. Tu n’as donc aucun souvenir de si c’est quelque chose de positif ou de négatif, mais si c’est le dernier cas, tu espères lui faire changer d’avis avec ta nouvelle création.