Heureusement que l'embarras ne tue pas || Robin

« Bien, au prochain cours nous étudierons… » Les paroles du professeur se perdirent dans un brouhaha assourdissant, la moitié des élèves s’étant déjà levés pour quitter l’amphithéâtre tout en bavassant joyeusement. Tony, lui, n’avait pas bougé de son strapontin. En bon étudiant qu’il était, il mettait toujours un point d’honneur à rester jusqu’à la dernière seconde, ne serait-ce que par respect pour le professeur qui se tenait face à lui. Ses quelques rares amis trouvaient cela idiot et avaient tendance à se moquer de lui, mais il s’en fichait. « Alors Tony, tu bouges ? », le héla l’un d’eux. Le jeune homme grommela quelque chose puis finit par se lever, tout en rangeant consciencieusement ses affaires dans son sac. « Partez sans moi, je dois passer à la bibliothèque, et puis il faut aussi que j’aille voir pour ce poste d’assistant… » À ces mots, celui qui l’avait interpellé quelques secondes auparavant se rapprocha et lui administra une petite tape dans le dos. « Sérieux Tony, tu vas vraiment t’emmerder avec du taff en plus ? T’en as pas déjà assez ? Je peux pas croire que tu fais ça seulement par bonté d’âme. C’est avec qui, ce job ? » Tony resta silencieux un moment. Il est vrai qu’il avait énormément de boulot, ce qui était tout à fait normal pour un étudiant en première année de médecine. Mais cela ne lui faisait pas peur et, ayant toujours aimé se rendre utile, cela ne le dérangeait pas d’accorder quelques heures supplémentaires à un professeur si cela pouvait l’aider. « Euh… Madame Nico, je crois. » Suite à ces paroles, son ami se mit à pouffer de rire, comme si ce que Tony venait de dire était une évidence. « Ah ouais ok, je comprends mieux. » Comment ça ? Le jeune homme, lui, ne comprenait pas, et jeta donc un regard plein d’incompréhension à son interlocuteur, les sourcils relevés. « Mais si, tu sais, c’est cette prof d’archéologie là. Elle est super sexy, tout le monde le sait ! Allez avoue, tu n’y vas pas que pour travailler, non ? », lui jeta son camarade avec un clin d'œil lubrique qui en disait long sur ce qu’il pensait. Il n’en fallut pas plus à Tony pour virer rouge écarlate. Non, il ne connaissait pas cette femme et non, il n’y allait certainement pas pour fricoter avec elle. Rien que cette idée le paralysait, lui qui n’avait jamais su comment aborder les filles. Et même s’il avait su, mon dieu, c’était une professeur, probablement bien plus âgée que lui… Il secoua la tête pour chasser ces pensées de son esprit et jeta un regard noir à son ami. « T’es vraiment trop con ! », dit-il avant de disparaître à grandes enjambées, encore gêné par cet échange.

Il était bloqué à la bibliothèque, n’arrivant pas à se résoudre à bouger et se repassant en boucle dans sa tête l’échange qu’il avait eu avec son ami. Et si Madame Nico en venait à la même conclusion ? Qu’il était là uniquement parce qu’elle était jolie. Peut-être qu’elle préférerait donner le poste à une fille. Raaaaah… Il prit sa tête entre ses mains et poussa un profond soupir. Ok, il devait se ressaisir. Après tout ça ne lui coûtait rien d’y aller, elle n’allait pas le manger, pas vrai ? Prenant son courage à deux mains, il se leva finalement et quitta la bibliothèque pour se rendre dans un bâtiment bien précis de l’université. Quelques minutes après, il était devant une porte close avec un nom marqué dessus : Madame Nico. Inspirant un grand coup, il frappa deux fois, puis entrouvrit la porte pour y passer sa tête. « Excusez-moi, je… » Il s’interrompit, les joues déjà cramoisies, avant de reprendre en balbutiant. « On m’a dit que… que vous cherchiez un... un assistant et je… j’aimerais bien occuper ce poste. » Il baissa les yeux, ne sachant plus vraiment où se mettre. Pourvu qu’elle ne le prenne pas pour un imbécile.

Tony avait toujours été timide, mais il l’était encore plus lorsqu’il s’agissait d’aborder des adultes qu’il ne connaissait pas. Pourtant elle n’allait pas le manger, comme elle le lui confirma après lui avoir indiqué de s’installer, un doux sourire aux lèvres. Elle semblait gentille, mais ce n’était pas suffisant pour décrisper le jeune homme qui ne savait absolument pas où se mettre ni même comment il devait se comporter. Timidement, il s’avança vers le fauteuil qu’elle lui avait désigné et s’y assit en silence. Ce n’était qu’un simple entretien pour un poste d’assistant, il ne jouait pas sa vie ou son avenir, mais il était extrêmement stressé. « Eh bien je… », commença-t-il sur un ton bien trop bas pour être entendu. Toussotant légèrement, il inspira un grand coup et reprit un peu plus fort et avec plus d’assurance : « J’espère pouvoir vous être utile dans les tâches qui me seront confiées, mais… J'aimerais aussi pouvoir apprendre certaines choses sur l’archéologie. On dit que vous êtes l’une des meilleures dans votre domaine, alors hum… » Il haussa timidement les épaules, en esquissant un regard dans sa direction. Au fur et à mesure qu’il parlait, sa voix avait décliné et ses derniers mots ne furent que murmure : « Enfin, dans l’optique où je serais pris, bien évidemment. » Désormais il fixait ses chaussures, le feu aux joues. S’il avait pu disparaître sous terre à cet instant précis, il ne s’en serait certainement pas privé. Il savait cependant qu’il se devait de faire des efforts, il ne pouvait pas se laisser dévorer par sa timidité indéfiniment. Après tout, il aspirait à devenir un grand médecin et il serait donc amené à voir défiler des dizaines de personnes par jour dans son cabinet si son rêve se réalisait. Il ne pourrait donc pas se permettre de se montrer timide, sa crédibilité en prendrait un sérieux coup. « Et vous, qu’attendez-vous de votre assistant ? » Il se forçait à ne pas bégayer, mais également à soutenir son regard pour ne pas paraître trop impoli. « Parce que je suis en première année de médecine, alors j’ai beaucoup de travail. Et je sais qu'il y a sûrement des gens plus expérimentés ou qualifiés que moi qui se sont présentés pour ce poste, mais ça ne me fait pas peur d’avoir un peu plus de boulot, j’aime travailler et apprendre et je suis prêt à m'investir. » Est-ce que cette phrase ne faisait pas trop fayot ? À cette pensée, il recommença à rougir et se remit à fixer le sol comme s’il avait dit quelque chose de mal. Si ce n’était pas déjà le cas, elle allait vraiment finir par le prendre pour un imbécile de première et le poste ne serait jamais pour lui. Autant dire que ses amis se moqueraient bien de lui. Enfin, c’était déjà un peu ce qu’ils faisaient, puisque le jeune homme s’était lourdement fait charrier avant de venir ici. Mais maintenant qu’il l’avait en face de lui, il comprenait ce qu’ils avaient voulu dire. Oui, cette femme était belle. Magnifique même, il fallait bien l’avouer. Néanmoins, Tony ne faisait pas vraiment attention à ce genre de détail. Lorsqu’il la regardait, il voyait surtout le puits de connaissances qu’elle représentait et tout ce qu’elle pourrait lui apprendre si jamais il avait la chance d’être pris pour l’assister. Au fond de lui, il était persuadé que ça pourrait être une très bonne expérience.