Il n'était pas rare que naisse une idylle entre un artiste et la muse incarnant l'art concerné. Ca n'arrivait pas forcément (heureusement), et pas exclusivement aux artistes (hélas, dans certains cas divins), mais c'était quelque chose qui arrivait de temps en temps et qui n'avait rien de surprenant. Au cours de l'histoire, Clio a déjà fréquenté plusieurs auteurs de l'Histoire, de la plus petite idylle platonique à l'histoire romantique, et elle savait que cela pourrait certainement se reproduire un jour.

Certains pouvaient penser qu'une telle idylle, quelque soit son intensité, pouvait naître avec le professeur de Greendale Community College Grégoire Raskolnikov à Baiame. C'était un professeur chercheur en Histoire à Baiame, jeune homme souriant et, il est vrai, séduisant dans la trentaine, qui était en effet de compagnie et de discussion agréable pour la muse.

Cleo ne cherchait pas à connaître l'amour, ne voulait pas particulièrement d'histoire romantique. Elles venaient à elles toutes seules, si elle était charmée par quelqu'un, et c'était bien ainsi, même quand, comme nous le disions plus tôt, elles se contentaient d'être platonique. Parfois la beauté d'une histoire se trouvait dans les non-dits et les sourires silencieux, au gout de Clio. Elle pouvait trouver son bonheur en se contentant de discuter avec un historien érudit et agréable.

Si tu es réveillé de cette malédiction de Baiame, demanda-t-elle curieusement, alors qu'elle ramassait les copies des étudiants qui étaient partis après un examen d'un atelier qu'ils animaient ensemble à la bibliothèque universitaire dont elle était la directrice, alors "Professeur Grégoire Raskolnikov" n'est pas ton vrai prénom.

Grégoire rigola, de l'autre côté de l'amphitéâtre. Bien vu. Pense-tu pouvoir me connaître ? Ce monde mélange des univers plein de surprise, taquina-t-il.

Elle lui lança un sourire de défi. Ne sous-estime pas la Muse de l'Histoire. En tant que telle, je connais aussi l'Oeuvre humaine. Je sais qui est Dark Vador au même titre que je sais qui est Simone Veil.

Grégoire se remit à rire, et leva les mains devant lui, admettant ses torts. Ok, ok, ton savoir est surprenant. Dans mon univers, j'étais le soigneur de la famille Romanov, admit-il enfin.

Je savais que tu étais russe, commença-t-elle, fière d'avoir compris les sonorités de son accent. Elle allait reprendre, mais s'interrompit toute seule en se souvenant de qui était le soigneur des Romanov.

Ce Multivers est redoutable. J'ai appris que certains me connaissent sous un bien pire jour que le mien, continua Grégoire - ou plutôt Grigori - distrait par les copies qu'il continuait de ramasser.

Mais Cleo, elle, n'était pas amusée. Elle connaissait les grandes figures de l'Histoire, et il lui était difficile de l'imaginer bienveillant. Bien sûr, c'était possible : elle avait compris que c'était toute la complexité surprenante du Multivers. Mais un "méchant" Raspoutine pourrait tout aussi bien être assez vicieux pour installer un doute. Grégoire était-il réellement le professeur bienveillant qu'elle avait appris à connaître et apprécier, ou se moquait-il d'elle ?

Il se rapprocha d'elle et lui confia les copies qu'il avait récolté. Alors on se revoit après la correction ? Ou peut etre avant ? Tenta-t-il.

Cleo cacha son nouveau malaise. Je crains ne pas avoir le temps pour me libérer plus tôt. On se voit après la correction, confirma-t-elle avec un sourire lorsqu'il prit donc congé d'elle.

Elle se dirigea alors, les pensées douteuses, vers la bibliothèque universitaire, là où elle croisa le regard d'une jeune femme rousse qui semblait la regarder volontairement. Même une muse de l'Histoire ne pouvait pas s'attendre à avoir devant elle une version plus enchantée de l'Histoire Russe, dans laquelle Raspoutine était donc encore plus maléfique. Se méfiait-elle elle aussi ?

L'écho agonisant de la Russie Impériale

feat @Cleo Clovis

Il arrivait souvent que je cauchemarde. Très souvent, c’était lié à l’horreur que Raspoutine avait causé lorsque j’étais enfant, ou bien cela concernait les démons qu’il avait jeté après moi lors de mon voyage jusqu’à Paris. Je me souvenais de chaque détails comme si c’était hier. Cependant, bien sûr, à ce moment là, je n’avais pas encore retrouvé les souvenirs de mon enfance, je ne me souvenais plus être la grande duchesse impériale. Cependant, il m’arrivait aussi de rêver du son de sa voix ou bien de ces instants où je me suis retrouvée piégée face à lui. Bien sûr, il ne me faisait pas peur, loin de là. Il me fallait bien pire pour ça. Cependant, depuis le retour de mes souvenirs ici, à Baiame, j’en rêvais, souvent.

En tant qu’apprentie libraire, je passais pas mal de temps au boulot mais aussi à la bibliothèque universitaire car j’y avais quelques cours. C’était surtout de l’apprentissage mais au moins, je pouvais également trouver certains livres qui pouvaient m’aider à réussir mes examens terminaux et être officiellement libraire. Je n’aurais d’ailleurs jamais pensé que je pourrais autant aimer cet emploi mais c’était ainsi. Cependant, alors que je me trouvais dans un des rayons de la bibliothèque universitaire, un conversation ne pu m’échapper.

Un variant du multivers de Raspoutine. Un frisson me parcourt l’intégralité du corps avant que je ne respire profondément « ça va aller Anya, calme toi » me murmurais-je, les yeux clos. Finalement, ils finissent par se séparer avant que je ne croise le regard de la jeune femme avec insistance. Lui faisant un signe, je finis par m’approcher d’elle avant de finalement reprendre la parole « je n’ai pas pu m’empêcher d’entendre votre conversation. Vous devriez vous méfier de lui. Après tout, Grigori Raspoutine a détruit ma famille et je ne peux m’empêcher de croire que c’est le cas de tous ses variants. » expliquais-je alors avant de reprendre devant son regard, faisant une révérence devant la jeune femme avec un sourire avant de me relever « Je m’appelle Anastasia Nikolaeivna Romanova » me présentais-je.

Anastasia Nikolaeivna Romanova, dit Cleo en même temps que la jeune Anastasia. Elle lui adressa un petit sourire. J'ai compris qui tu es, oui. Tu es une grande figure de l'histoire Anastasia, je suis honorée de te rencontrer, lui dit-elle sincèrement. Clio n'était pas impressionnée : elle incarnait littéralement les récits de l'Histoire et portait avec elle la mémoire d'Anastasia, des Romanov et du monde. Mais l'honneur, lui, était sincère. Elle adorait la compagnie de certaines figures de l'Histoire. Celle d'Anastasia et sa mémoire de survivante seraient d'ailleurs certainement agréables et interessantes.

Malheureusement, elle la rencontrait dans un contexte troublant. Je comprends parfaitement ton inquiétude, Anastasia. Le poids de l’histoire et les ombres du passé ne sont pas à prendre à la légère, surtout lorsqu'il s'agit de figures aussi controversées que Grigori Raspoutine.

Elle marqua une pause et lui proposa de s'asseoir avec elle. Elle pouvait être d'accord avec elle mais la muse était tout de même plongée dans une intense reflexion, en proie à de nombreux doutes sur l'attitude à avoir quant au professeur. Elle soupira avant de reprendre.

Je m'appelle Cleo. Clio, la Muse de l'Histoire. Je suis la première à comprendre les enjeux de l'Histoire et les responsabilités de ses acteurs mais... elle s'arrêta à nouveau, hesitante mais compatissante. Elle cherchait les mots juste pour exprimer ses pensées.

Cependant, il est important de se rappeler que le multivers est un lieu de possibilités infinies. Chaque individu, chaque version d’une personne, peut évoluer différemment selon les choix qu’il fait et les circonstances qu'il rencontre, dit-elle sincèrement mais sans savoir si cela voulait vraiment dire que ce Raspoutine était bel et bien différent. Bien que ce Grégoire Raskolnikov puisse porter le nom de Raspoutine, il est peut-être une personne différente de celle que tu as connue ou de ses autres variants.

Cleo soupira, se penchant un peu vers Anastasia, prête à lui faire des confidences. J'ignore quoi en penser. Il faut que tu saches qu'il existe réellement des univers où ton histoire s'est mieux déroulée, où Grigori a été bon. Mais oui, je ne sais pas s'il en fait partie. Mais... avant de comprendre qui il est, j'appréciais sa compagnie. Grégoire est un bon ami.

Elle porta une main à sa machoire, réflechissant encore, le regard perdue avant de se redresser face à Anastasia, un peu plus déterminée. Essayons d'en être certaines. Enquêtons sur cet homme, proposa-t-elle alors.

Incarner l'Histoire et le long fil du temps aurait pu rendre la déesse insensible : porter autant d'horreurs contre lesquelles on ne pouvait rien, simple déroulé du temps, aurait pu anesthésier sa compassion mais ce n'était pas le cas. Clio connaissait la valeur de l'histoire et autant de ses massacres, des leçons qu'on en tirait pour se forger un avenir, et cela passait, justement, pas la compassion.

Les traits de son visages affichèrent de la peine quand la jeune Anastasia partagea sa peur envers ce variant de Grigori Raspoutine. Elle était certes forte, elle s'en était certes tirée admirablement bien, elle portait encore et évidemment les traumatismes de Raspoutine qui avait fait d'elle une orpheline exilée. Même si elles avaient la preuve que le professeur Raskolnikov était bel et bien un homme bon qui, dans sa version de l'histoire, n'avait pas fait ces horreurs, il était parfaitement compréhensible d'identifier l'inconfort d'Anastasia.

Je comprends, lui dit-elle sincèrement. Si cela peut te rassurer, l'Histoire ne se répétera pas ici. Je suis la Muse de l'Histoire, certes, mais dans ce monde si particulier où aucune de nos histoires n'aurait dû terminer, je peux me permettre d'intervenir. Il en va de même du TVA qui nous protège, rassura Clio.

Elle ne répondit rien concernant l'espoir d'Anastasia sur son univers, lui laissant la liberté d'imaginer ce qu'elle voulait se permettre d'imaginer : car elle avait raison, selon la compréhension qu'ils avaient de ce multivers qu'ils venaient de découvrir, il était évident qu'Anastasia n'avait jamais perdu sa famille quelque part dans cette vaste variation de leurs histoires, mais elle ne voulait pas non plus encourager cette pensée, se disant qu'elle ne saurait pas si de tels univers pourraient lui apporter un réconfort ou tout le contraire.

Cleo tourna la tête vers la porte et les fenêtres, comme pour s'assurer qu'elles n'étaient ni écoutées ni observées, bien que sa lecture d'auras pouvaient parfaitement le déterminer sans avoir besoin de les voir. Elles étaient bien seules, ce n'était que la paranoïa qui se réveillait quand on parlait de quequ'un. Cleo se pencha alors pour répondre à Anastasia.

On peut commencer n'importe où, c'est l'avantage d'être une déesse, lui dit-elle avec un petit sourire malicieux. Veux-tu chercher dans son bureau, sa maison, son casier à la police... ou as-tu d'autres idées ? Où Grigori Raspoutine pourrait-il laisser des casseroles dans ce monde, s'il était le même sorcier que tu as connu ?