Votre visage ne m'est pas inconnu (Rampa)

La soirée s’annonçait sous les meilleurs auspices. La salle était bondée, aussi peuplée que je pouvais l’espérer pour un vendredi soir. Le champagne coulait à flot et on pouvait voir à chaque table des repas succulents dévorés avec appétit par des clients qui ne pouvaient que rarement détaché leur regard de la scène. On s’amusait, on commentait les numéros à la fin de chacun d’entre eux. Parfois même, le public répétait avec entrain les paroles des chansons que les artiste fredonnaient. Non réellement, il n’y avait pas un nuage à l’horizon et je ne pouvais que me réjouir de mon succès. Il justifiait à lui seul les heures passées à travailler d’arrache-pied et suer sang et larme pour parvenir à ce résultat magistral. Vraiment, c’était pour moi un véritable bonheur dont je me sentais incroyablement fier.

Je connaissais la plupart des spectateurs. J’avais ma clientèle d’habitués. De gens qui se réjouissaient de cotiser chaque moi pour s’offrir le précieux sésame ; un billet d’entrée pour une soirée idyllique au sein de ma si belle salle de spectacle. Je prenais le temps de discuter avec chacun d’entre eux. J’avais beau ne pas être la personne la plus sociale du monde, je ne pouvais pas oublier que j’étais tenancier de l’établissement. Et il y avait certaines responsabilités auxquelles je ne pouvais me soustraire. Cela avait de plus l’air de beaucoup leur plaire que je leur consacre ainsi un peu de temps. Faisant d’eux les personnes les plus importantes de la soirée pour quelques précieuses secondes. De véritables V.I.P comme on dit dans le métier.

Non finalement je n’avais pas trop à me plaindre de ma vie sur cette île. L’Enfer avait beau parfois me manquer atrocement, ainsi que le démon de la radio, je trouvais toujours une bonne raison de sourire et de m’amuser. La vie est tellement courte et un siècle ne suffit pas à combler mes appétits liés à ma si grande curiosité ou à ma passion pour les divertissements en tous genres et l’inattendu. N’est ce pas formidable, après toutes ces années d’existence et de mort, de pouvoir être encore émerveillé par ce qui nous entoure ?

Et justement cette soirée me réservait une surprise de taille. Parmi tous les spectateurs de la foule, mon regard s’attacha particulièrement à une personne que je n’avais jamais vue auparavant. Si cela avait été le cas, je m’en serais souvenu bien naturellement. Car aussi étrange que cela puisse paraitre, nous partagions les mêmes traits du visage. Décidément, l’île de Baiame n’avait de cesse de m’étonner. Je savais que plusieurs univers se côtoyaient sur cette étrange Terre. Pourtant, je n’aurais jamais pensé rencontrer un jour mon propre sosie. L’opportunité était trop belle pour que je la laisse passé. Je me rapprochais donc de sa table qu’il ne partageait avec personne. Allant jusqu’à m’asseoir à sa table sans vraiment y avoir été invité. J’avais remarqué que quelque chose le tracassait et je pensais qu’il était de bon ton, en temps qu’hôte frôlant la perfection, de m’y arrêter un instant.

« Le spectacle vous plaît ? J’avoue avoir été particulièrement impressionné par la mélodie au piano de Monsieur Chopin, même que son adagio manquait cruellement d’émotion. Bien trop mécanique à mon goût. Dommage il avait pourtant tellement de potentiel. »

Je m’arrêtais un instant avant de me tourner en direction de la table pour le voir, penchant ma tête sur le côté en un mouvement qui défiait les possibilités biologiques.

« Vous savez ce que trouve également dommage ? Priver votre visage d’un sourire ravi. Avec des traits aussi harmonieux que les vôtres, c’est un tel gâchis. »

J’appelais alors un serveur qui s’approcha de la table sans attendre une seconde.

« Je n’aime pas savoir qu’un de mes clients est triste dans mon cabaret. Commandez ce que vous désirez. Ce sera ma tournée. »
 

Pourquoi est-ce qu'il faut que je ressasse encore et encore comme je le fais en ce moment? On en est pas aux premiers siècles sans se croiser, l'ange et moi, sérieux. J'crois même qu'on a réussi à s'éviter pendant un millénaire entier un coup. Enfin, s'éviter nan, mais ne pas se croiser au cours de missions étonnamment similairement opposées, en tout cas.
Nan, le problème c'est que j'ai compris comment fonctionne cette ile. Donc, même si Aziraphale est allé jouer les pigeons là haut sur son foutu petit nuage tout blanc immaculé, normalement, il a du tomber dans le coin. Et c'est ça qui me frise. De pas être fichu de lui mettre la main dessus alors qu'il est si proche. Là-haut, pas de souci, j'avais une excuse en or pour pas le croiser. Mais là, pas normal. C'est quand même pas sorcier à repérer, un amoureux des livres anciens pourri d'empathie pour le monde entier et plus coincé qu'un balai dans le cul de... bref, un ange quoi. Même sans les ailes, les plumes l'auréole, vous voyez un ange, vous savez que s'en est un. Et je refuse de croire que c'est le privilège des démons de les reconnaitre. C'est juste que les humains ont l'attention si bloquée sur leur petite vie personnelle ou leur téléphone portable qu'ils passeraient à coté d'un dinosaure en pensant que c'est normal.

Bref, quand je ressasse j'ai besoin d'un verre, et quitte à jouer les piliers de comptoir, autant le faire dans un endroit chicos, alors pourquoi pas le cabaret. Installé seul à une table, les pieds croisés sur la chaise en face de moi, j'assiste au spectacle sans trop ni le voir ni l'entendre, jusqu'à ce que ce qui semble être le propriétaire des lieux  s'arrête devant moi pour commenter l'adagio de Chopin.

"C'est certain qu'il n'arrive pas à la cheville de Beethoven ou Mozart. C'pas pour rien qu'on l'a laissé au Paradis celui-là. On a bien plus intéressant comme grands compositeurs en Enfer."

Je baisse légèrement mes lunettes de soleil sur mon nez pour avoir un meilleur aperçu de l'homme qui s'installe à ma table. Je vais vraiment finir par demander des droits d'auteur à ceux qui décident de copier mon physique. Quoique la barbe de trois jours et les cheveux bruns, nan, il peut les garder, j'suis pas fan, vraiment. Vraiment trop sérieux.

"Des traits que vous connaissez bien, à ce qu'il semblerait. Rampa. Et mon humeur ne concerne que moi."

Il attire toutefois mon attention en me proposant de commander "ce que je veux". Il faut croire qu'il me connait davantage que je le connais, le démon (oui, parce que sa façon de pencher la tête, c'est pas humain ça. Mais lui comme moi ne faisons à priori pas partie de cette catégorie de démons couverts de limaces et autres asticots en tous genres... non mais Astur jure qu'il prend un bain dans le Styx une fois par millénaire, si vous vous posez la question.), et ça m'intrigue. Franchement, il a réveillé mon intérêt, et je lui offre un sourire jovial en retour.

"Faut croire que tu sais parler aux gens l'ami. Une bouteille de vin rouge alors. Et pas forcément ton meilleur. J'ai envie de me mettre la tête à l'envers pour changer."

Je m'étire sur ma chaise, penchant la tête en arrière par dessus le haut du dossier, de quoi manquer me rompre le cou probablement, mais une position que je garde tout de même quelques instants avant de me redresser pour le regarder en face.

"Et si on se le partageait ce verre? C'est pas aussi drôle qu'on le dit de picoler en solo."

 

Votre visage ne m'est pas inconnu

Alastor & Rampa ;

Je devais bien avouer que cet étrange personnage attirait ma curiosité. Ce n’était pas tous les jours que l’on pouvait croiser son semblable. Cela ne m’était d’ailleurs encore jamais arrivé. En revanche, mon chemin avait déjà rencontré celui du capitaine Harkness. Ce dernier m’avait fait remarquer, avec une attitude qui lui était propre, qu’il existait d’autres hommes dans cette ville me ressemblant trait pour trait. Je ne pouvais alors que m’interroger sur l’identité de l’inconnu. Quels étaient déjà ces faux pseudonymes qu’ils m’avaient donnés déjà ? Docteur ? Rampa ? Est-ce que ces derniers devaient être attribués à cet homme ? Ou bien était-ce un nouveau sosie qui entrait en jeu ? Dans l’état actuel des choses, je ne pouvais jurer de rien. Il aurait cependant été bien impoli de ma part de le lui demander directement. Il fallait avant cela crée un premier contact disons… moins intrusif ? Oui. C’était le mot.

Pour le moment, je me contenterais d’être l’hôte le plus avenant qui soit. A peine avait-il prononcé quelques mots que mon enthousiasme s’en retrouvait décuplé. Des propos qui m’étaient si familier et qui firent naître sur mon visage un sourire plus large que d’habitude. Je ne pu résister à l’envie de le lui faire remarquer, tout en conservant le mystère sur ma propre personne. Je souhaitais conserver autant que possible l’identité du démon de la radio secrète. Qui sait à quelle vitesse se secret pourrait être éventé ? Ce pourrait se retourner contre moi si mes ennemis ou mes rivaux venaient à en avoir vent.

« A vous entendre, on croirait que vous êtes un familier de ces concepts. Est-ce donc de là que vous venez ? Des profondeurs de l’Enfer ? Si tel est le cas, je serais curieux de savoir quels compositeurs a fini ses jours dans cette fournaise. »

L’Enfer que j’avais connu était un peu différent. Mais ces clichés n’étaient pas si éloignés de la vérité. Tout du moins, pas en ce qui concernait sa puanteur crasse. Je ris alors amusés lorsqu’il me fit remarquer que nous partagions les mêmes visages. Comment n’aurait-il pas pu le remarquer ? Il eut également le bon goût de se présenter à moi. Il s’agissait donc de Rampa. Etrange, je pensais pourtant avoir connaissance des noms de la plupart des démons de notre Enfer. Peut-être évoluait-il dans un autre cercle ? Ou peut-être qu’il existait une infinité de mondes infernaux qui se côtoyaient sans jamais se toucher. Fascinante théorie, non ?

« Oui en effet. Il faut croire que le Très Haut dans sa grande sagesse a estimé qu’il était bon de faire cadeaux de ces traits harmonieux à plusieurs de ses enfants. »

Cette remarque fut immédiatement suivie d’un second rire. Je n’étais pas à ce point narcissique mais une petite métaphore filée était toujours de bon ton lorsque l’on souhaitait établir un contact intellectuel avec son interlocuteur. Je lui adressais alors une révérence exagérée au moment de faire les présentations.

« Alastor. C’est un plaisir de vous rencontrer, cher ami. »

Mon offre faite, je commandais un bon rouge de mon cru, correspondant tout à fait au désir de mon invité. Je répondis à son affirmation concernant ma bienveillance. Je savais naturellement parler aux gens. On ne devient pas un Faiseur de marchés en Enfer sans armes pour attirer sa collection d’âmes dans ses filets.

« C’est en effet ma spécialité. Je sais être à l’écoute des vœux de mes invités. Vous avez donc passé une mauvaise journée ? »

Me connaissant, le serveur avait pris soin de remplir son verre puis le mien, avant même qu’il m’ait invité à le rejoindre. Après tout, mes employés me connaissaient si bien et je ne doutais pas un instant de l’effet charmeur que je pouvais avoir sur les autres. En tant bien tout honneur, cela va de soi.

« Avec plaisir, nous pourrons alors converser davantage. Il est toujours agréable d’avoir une conversation en bonne compagnie. »

b l a c k f i s h

Si j'ai évoqué le Paradis et l'Enfer à voix haute sans franchement me demander si mon interlocuteur risquait de trouver ça bizarre ou non? Sans doute. Que j'l'ai fait, pas que j'me suis posé la question. Celui à qui mes paroles déplaisent peut tout aussi bien aller voir dans un autre cercle infernal si je m'y trouve.

"Pas tout à fait à l'origine, mais ouep, on peut dire que j'y ai passé quelques millénaires, là-dessous. Entre deux balades au milieu des humains. Fascinantes créatures, n'est-ce pas?" Définitivement pas humain, j'l'avais dit non? "Bah, sans se creuser les méninges, on peut déjà citer Beethoven, Brahms, tous les Bachs, Mozart, les principaux quoi. Mais on est sympas, on en a laissé deux ou trois au Paradis."

Notamment Elgar et Liszt. D'accord, j'suis pas sur qu'on ait été "sympas" sur ce coup-là, mais on est des démons non? Faut bien mériter notre réputation de temps en temps. Je grimace ouvertement quand il évoque le "Très Haut" et son rôle dans la conception d'une belle gueule pareille. Ouais, faut dire que ce jour-là, elle avait moins picolé que quand elle nous a créé Gabriel. Non mais excusez moi, mais Gabriel quoi. Y a vraiment que Aziraphale qui a bugué de le voir sans tunique celui-là. Et encore, c'est très probablement parce que l'angelot ignore totalement à quoi ressemble un être humain/céleste/démon en dessous du col. Six millénaires sur cette terre et pourtant tant de choses à découvrir encore, ça a son coté amusant.

"Ouais, disons que ce jour-là, elle avait assez usé ses pinceaux sur les ébauches pour réussir à dessiner un chef-d'œuvre."

Le problème, c'est que copier un chef-d'œuvre, c'est pas bien facile. D'où les petites différences qui font que c'est quand même moi le plus classe des trois triplés Mais je garde ce commentaire pour moi, pas que j'sois trop humble pour pas le sortir, bien au contraire, mais j'ai pas envie de jouer à qui pisse le plus loin ce soir.
Alastor, Alastor, Alastor, pourquoi ça me parle ce nom? Oui non mais au milieu de 666 légions composées de 666 démons chacune, excusez mais j'peux pas retenir tous les noms moi. Retenir les noms des Ducs de l'Enfer me suffisait déjà largement. Ok, y a Shax aussi, parce que personne ne peux vivre en Enfer sans connaitre Shax. Une fouine pareille, ça ne s'oublie pas quand on la croise. Si elle en dit surement autant sur mon compte? Je l'espère bien. Toujours faire une forte impression, c'est le B-A-BA du métier de démon.

"Bof. Mauvaise journée, mauvaise année, mauvaise idée que tout ce bordel d'Ile de Baiame. Disons que j'ai un truc dans la tête et que y a rien à faire, il sort pas."

J'accepte ce verre que le serveur nous apporte, faisant descendre mes pieds de la chaise en face de moi pour croiser les jambes, glissant mon bras par dessus le coin du dossier dans une posture qui se veut plus décontractée que je ne le suis en réalité.

"Disons qu'on m'a ouvert les yeux sur un truc qui occupait pourtant tout le paysage devant moi, et maintenant que j'l'ai vu, j'arrive pas à passer à autre chose. C'pourtant pas la première fois que j'passe genre dix, cent ou mille ans sans me préoccuper d'autre chose que de moi-même, mais là y a rien à faire, quelle que soit la pensée qui me traverse l'esprit, j'y reviens à chaque fois. C'est stupide!"

Surtout que y a pas besoin d'être Einstein pour savoir que le temps que Aziraphale comprenne seulement ce que moi je ressens pour lui, il va se passer un bon millénaire. Le temps qu'il songe, peut-être, à ressentir la réciproque... autant que j'me jette tout de suite dans le Styx. J'le sais, bon sang, mais c'est plus fort que moi, faut que j'me turlupine avec ça. Fichu angelot. Fichu TVA qui me donne rien pour m'occuper l'esprit entre deux missions destinées à m'occuper l'esprit. Et fichu moi qui ait rien trouvé de mieux que de craquer pour ce foutu angelot. Bref, j'ai besoin d'un verre, et ça tombe bien, j'en ai un dans la main.

 

Votre visage ne m'est pas inconnu

Alastor & Rampa ;

Décidément, mon invité était réellement plein de surprise. Il confirma sans l’ombre d’un doute qu’il était un démon, lâchant cette information sans vraiment prendre de précaution. A croire que sa véritable identité ne lui posait aucun problème. Était-ce réellement étrange ? Pas tant que cela quand on y réfléchissait. Après tout, l’île de Baiame faisaient se côtoyer de bien étrange créature. Il n’aurait pas semblé étrange de croiser sur notre route, un elfe, un loup-garou ou encore un vampire. Moi-même, je n’étais pas totalement étranger à ces créatures mystiques. Et tout comme ce cher Rampa, j’étais également un résident de l’Enfer. Non pas un hellborn comme pouvaient l’être les diablotins ou les chiens de l’Enfer. Mais j’y évoluais depuis des décennies malgré tout et j’étais devenu un démon puissant… un overlord, bourgeois dirigeant du monde infernal en l’absence de leurs majestés qui s’étaient désintéressées de leur fonctions royales. Je n’étais donc pas n’importe qui dans ce monde et je comprenais très bien les dires de Rampa. Toujours désireux de dissimuler cette part de ma vie, je lui adressais simplement un sourire.

« Etonnante vie que la vôtre, mon cher ami. Vous en avez dû voir des merveilles dans le monde des abysses. Quant à votre compliment, je vous en remercie. Il est vrai que nous humains sommes des créatures étonnantes. Si imprévisibles et surtout incapables de résister à la tentation et à nos démons intérieurs. »

Ce mensonge n’en était pas réellement un. J’avais été humain, du temps de ma lointaine existence à la Nouvelle-Orléans. Magnifique terreau de Jazz et de musiciens aux milles talents. Même si, et je m’accordais à l’opinion de Rampa sur ce point, la plupart avaient terminés leurs jours en brûlant dans les flammes de l’Enfer. Après tout, ne dit-on pas que le malheur des uns fait le bonheur des autres ? Nous pouvions au moins nous vanter en Enfer de pouvoir compter sur des résidents de qualité. Lorsque Rampa évoqua Dieu, tout du moins celui de leur monde, il en parla au féminin. Je ne pus alors réprimer une exclamation de surprise.

« Elle ? »

C’est étrange mais c’est une possibilité que je n’avais jamais imaginée. Il faut dire que nous ne connaissions que très peu de chose du Paradis. Il demeurait un monde inaccessible pour nous. Tout du moins c’est ce que le Paradis se plaisait à croire. Il n’y avait que Charlie, notre très chère princesse de l’Enfer pour croire à la rédemption des pécheurs et à cette possibilité qui nous était offerte de monter au paradis une fois nos péchés rachetés. Nous ne connaissions de notre Paradis que les anges exterminateurs. Ces cruelles créatures qui avaient pour but de se débarrasser une bonne fois pour toutes des âmes des pécheurs. Même moi qui aurait pourtant tout voulu savoir ce qui se cachait là-haut ne disposais que de très peu d’information. Alors spéculer sur le véritable sexe de Dieu semblait totalement utopique.

« Dieu serait donc une femme ? »

J’avais lancé cette remarque en étant pensif avant de me concentrer sur ses dires qui suivirent.

« Je suis navré de l’apprendre, mon ami. De ma propre expérience, il n’est rien qui puisse être embellie par un spectacle de qualité. Je comprends malgré tout que certaines situations nécessitent plus d’attention et d’introspection. »

Je n’étais pas des plus doués lorsqu’il s’agissait de consoler des personnes ou faire preuve d’empathie à leur égard. Tout du moins pas si je n’avais rien à y gagner. Mais autre temps, autre mœurs comme on dit. Cela ne coûtait rien de m’ouvrir un peu à mes rencontres avec les autres.

« Et ce fameux truc dont vous parlez, vous ne pouvez pas l’obtenir ? Est-il présent sur cette île étrange de Baiame ? Car si c’est le cas, il ne peut y avoir quelque chose qui vous empêche de l’obtenir, non ? La tentation n’est-elle pas faite pour y céder ? »

b l a c k f i s h

Je hausse un sourcil par dessus mes lunettes teintées quand il me répond en s'incluant dans la généralité des humains. Si celui-là est humain, moi, je suis un ange. Et croyez moi, ça ne m'est pas arrivé depuis près de six millénaires, et plutôt prendre un bain d'eau bénite sur une terre consacrée que d'y retourner. Mais s'il veut prétendre qu'il l'est, qui suis-je pour le contredire?

"Soit. Un bonheur pour mes frères et moi-même. C'est si amusant de voir jusqu'où des êtres aussi pathétiques peuvent aller pour s'enfoncer dans le vice. Je crois que parfois, c'est nous autres démons qui prenons des leçons."

Si je passe de "fascinants" à "pathétiques"? Je veux voir à quel point il se considère "humain", c'est tout. Accessoirement, faut quand même avouer que si on leur enlève leur rapidité de reproduction et leur inventivité à toute épreuve qui leur ont permis de devenir l'espèce dominante sur Terre, les humains ne sont quand même pas la création la plus aboutie de Dieu.

Je hausse les épaules quand il me demande si, selon moi, Dieu est une femme. Aux dernières nouvelles oui, après, chacun pense ce qu'il veut en matière de religion, et si admettre qu'une femme puisse être à l'origine de toute chose sur Terre est trop compliqué pour certains, moi j'vais pas polémiquer non plus là dessus. C'pas comme si ça me semblait la donnée la plus essentielle de l'univers. J'suis un peu un démon quand même, faut pas l'oublier. Elle a cru bon de me balancer du haut du balcon quand même, faut pas l'oublier non plus. Bref, cela dit, c'était pas pour le pire, parce que suivre aveuglément les règles sans poser une seule question et se dire que tout est foutument ineffable dans l'univers, ça m'aurait pas convenu dix mille ans, pour tout dire.

"Chez moi oui, c'est une femme. Chez d'autres, elle est noire. Il est. Bref, différents univers. Six millénaires à la qualifier au féminin, j'suis pas prêt de changer d'habitude. Apparemment, chez vous c'est pas le cas?"

Quand à ce "truc" que j'ai en travers de la gorge, je crains que sans entrer dans les détails, je ne puisse guère obtenir de réponse avec plus de détails. C'est donnant/donnant, à ce qu'il parait.

"Pas à ma connaissance. Mais je te l'accorde." Oui, je suis passé au tutoiement, et alors? "Baiame a beau ne pas être grande, c'est une vraie botte de foin dans laquelle chercher une aiguille. Le problème, c'est que j'ignore seulement si l'aiguille souhaite être retrouvée."