as long as you are here to pat my back (geto)

Lorsque son corps avait heurté le sol goudronné de l’établissement d’exorcisme dans lequel il avait passé les trois plus belles années de sa vie, Gojo n’avait pensé qu’à une seule chose ; se relever. Alors que l’énergie occulte qui s’occupait de maintenir en vie un corps, qui ne lui avait jamais réellement appartenu dans cette société, s’était dissipée, son esprit s’était accroché si fort à cette idée qu’il avait cru pouvoir le faire. Mais pour la toute première fois de sa vie, il avait connu l’échec. Pour la toute première fois, il était impuissant et, pour la toute dernière fois, il l’espérait, il se sentait profondément perdu. Ce système, cet univers... Il n’avait pas l’impression de pouvoir leur donner sens un jour, une part de lui n’en ressentait pas non plus l’envie. À quoi bon comprendre ce qui remettait en cause toute son existence ? Celui qu’il avait été, qu’il était et aurait dû être un jour.

On voulait lui faire croire que sa venue ici avait un sens, mais parmi toutes les nombreuses explications qu’on lui avait données, aucune ne l’avait satisfait. Rien ni personne n’avait pu faire taire les mille et une questions qui tournaient en boucle dans sa tête. Satoru attendait une réponse précise qui ne venait pas et qui ne viendrait probablement jamais, puisqu’il ne savait lui-même pas ce qu’il souhaitait entendre. C’est peut-être pour cette raison qu’on l’avait finalement laissé seul, dans cette pièce dépourvue de toute identité, un peu comme lui aujourd’hui finalement, qui était destinée à être la sienne s’il acceptait la proposition qu’on lui avait faite : devenir agent du TVA.

Être en seul compagnie de ses pensées aurait dû être une chose terrifiante, mais ça lui avait au moins permis de faire le point et d’en venir à une conclusion. Peu importe ce qu’on lui avait montré et expliqué, peu importe ce qui devait l'attendre dans ce nouveau futur qu’il s’assurerait de rendre différent de celui qu’il aurait dû connaître… Satoru suivrait le choix de Suguru. Il était, après tout, comme cette lumière éclatante qui s’immisçait à travers les rideaux de la pièce pour venir troubler sa vision pour lui. Indispensable, donc. Une vie sans ses pouvoirs, c'était déjà assez complexe de se l'imaginer, mais une vie sans Suguru était tout bonnement impossible. Il ne savait pas ce qui avait pu permettre à l’individu qui avait pris sa place de le supporter — car il refusait encore puérilement d’accepter qu’ils puissent être une seule et même personne — et il s'interdisait de le comprendre. Le (pas) lui du futur avait dû perdre la tête, c’était la seule excuse qu’il lui avait trouvé. Tout le monde le savait, que l’un sans l’autre ne pouvait pas exister. Si bien que même ici, les premiers mots qu’on s'était empressé de lui dire pour le calmer étaient "il est là".

Et le soulagement qu’il ressent lorsqu’on lui prouve, enfin, que sa présence ici n'est pas qu’un mensonge est indescriptible. Quand la porte s’ouvre, quand elle laisse place à une silhouette qu’il reconnaîtrait même s’il perdait tout ses sens, quand un rayon de soleil illumine toute la pièce... c’est un véritable poids qui se retire de ses épaules. Son corps bouge de lui-même et il abandonne le lit qui aurait fini par prendre sa forme s’il y était resté plus longtemps. L’ancien (?) exorciste se relève aussi vite qu’il le peut, avec ce nouveau corps aux mêmes capacités que n’importe quel humain lambda, désormais. Mais c’est tout de même très rapide, pour un simple humain. S’il avait pu, il l’aurait pris dans ses bras, mais ils n’ont jamais fait ça avant. Il ne sait pas s’il a le droit, sa relation avec Suguru brise déjà assez de barrières et d’interdits, mais pourtant, celle-là le bloque encore. « Suguru ! », qu’il s’exclame avec la plus grande facilité du monde. Ce prénom qui lui est aujourd’hui plus familier que le sien, qu'il ne se lassera jamais de prononcer. « T'es en retard. », le ton est léger, pas approprié à la gravité de la situation dans laquelle ils se trouvent... Mais quand est-ce qu’ils ont pris quelque chose au sérieux, eux ? Les doutes et les craintes, qu'il n'aurait pas cru ressentir un jour, se sont dissipés par sa simple présence. Suguru avait peut-être lui aussi perdu ses pouvoirs ici, mais celui-là, personne ne pouvait le lui retirer.

Pour une fois, il ne sait pas par où commencer. Le sourire qui n’avait pas fait son apparition depuis qu’il avait atterri dans les quartiers du TVA a beau être de retour, ça ne veut pour autant pas dire qu’il a oublié tout ce qu’il souhaite demander à son meilleur ami. C’est trop étrange, même pour lui, de ne pas déjà avoir emporté Suguru dans un tourbillon de questionnements et de mots. Le problème, c’est qu’il ne sait pas ce qui lui a été dit. Est-ce qu’il est au courant des mêmes choses que lui ? Est-ce que son avis sur sa personne va changer, s’il apprend qu’une version de lui (que tout son être rejette) l’a tué ? Derrière sa paire de lunettes, qu’il n’a pas retiré bien qu’elle ne lui soit plus d’aucune utilité maintenant que le flot d’informations que lui procurait le sixième oeil ne l’affecte plus, ses yeux trahissent toutes ses émotions. Mais il ne peut pas les détacher de lui.

Il veut doit faire bonne figure. Son rôle a toujours été de prendre les choses à la légère, il a connu trop de bouleversements et changements aujourd’hui pour qu'il accepte qu'on le lui prenne, ça aussi. « Quel sacré bordel ! », un rire jaune accompagne ses mots, tandis qu’il se félicite mentalement pour avoir finalement mis les pieds dans le plat. « Pas de pouvoirs, pas de fléaux... T’y comprends un truc, toi ? », qu’il demande sincèrement, parce que ça c’est son rôle à lui. De comprendre, de le guider... et Satoru, il n’attend que ça, être guidé par lui.