Mystérieuse et intrigante rencontre [PV Sohan Mallet]

Je suis à peu près persuadée qu'il y a quelque chose qui a échappé à l'œil des collègues. j'en suis presque sûre. Ce n'est pas possible qu'il y ait si peu d'indices alors que le kidnapping a littéralement été commis sur place. On peut facilement manquer des choses dans l'herbe et je ne suis pas allée personnellement sur cette scène de crime parce que j'étais occupée à présenter dans une affaire différente. Normalement, ça ne veut rien dire. Tous les membres de l'équipe sont capables de relever les indices pour le légiste. Mais cette fois, il y a un enfant en jeu et je me refuse à laisser quoi que ce soit au hasard.

Malheureusement, les scellés ont été levés depuis longtemps et je ne vais pas pouvoir fouiller sans la présence d'un certain nombre de personnes. Il n'est pas impossible que ces personnes aient détérioré le lieu du crime, elle ou d'autres d'ailleurs. Mais si je ne le fais pas tout de suite, je vais me le reprocher, surtout si l'on découvre que quelque chose de grave est arrivé à cet enfant. Pour le moment, j'ai juste l'air d'une fille bizarre qui fixe le sol, comme si elle cherchait les pièces de monnaie perdues par d'autres personnes. Je dois avoir l'air bizarre, mais ça ne m'arrêtera pas.

En revanche, ce qui m'arrête net, c'est ce type. Je lui rentre dedans, à force d'avoir le nez au sol. Bon, ça veut forcément dire qu'il ne regardait pas devant lui, mais ça n'empêche, je ne suis pas vraiment sûr que ce soit une très bonne chose de me retrouver les fesses par terre plutôt que les yeux rivés au sol. Je n'avais absolument rien trouvé jusque là, mais ça ne veut pas dire que je ne pourrais pas trouver quelque chose si je continue. pour le moment, j'ai la tête un peu secouée. Alors je remue un peu pour m'assurer que ça va et je relève les yeux vers lui. C'est bizarre, je lui trouve un drôle de regard, pas désagréable, mais perturbant. Je ne sais pas pourquoi.

« Je suis désolée, je ne vous ai pas fait mal ? Excusez-moi, je ne regardais pas devant moi. »

Une fois de plus, j'ai laissé au placard l'encours qui doit me permettre de payer mon prochain loyer, soit un livre pour enfants de 12 pages évoquant une fourmi faisant l'aumône (pardon, étant solidaire) à une cigale n'ayant pas prévu qu'après l'été vient l'hiver. Un truc qui doit apprendre le partage aux gosses je crois. Parfois, je regrette vraiment les collections "Petit Ours apprend la vie". Bref.
Si je suis dans le parc aujourd'hui, ce n'est donc pas pour choisir le meilleur vert à poser sur les brins d'herbe qui feront le décor de cette histoire à dormir debout, mais pour m'adonner à cette part de mon art qui n'est pas mon métier mais qui me passionne bien davantage. Mon crayon file sur le papier de mon calepin au même rythme que mes pas, alors que j'observe mon environnement dans les moindres détails et sous un maximum d'angles de vue pour faire ressortir le plus intéressant de chaque chose. Non, je ne suis pas non plus de ces hommes capables de rester des heures et des heures installés derrière un chevalet pour capter la seconde où le rayon du soleil se placera juste comme ils le désirent sur le cadre qu'ils ont prévu de peindre. Je suis de ceux qui griffonnent, sans cesse, sur à peu près chaque bout de papier qu'ils peuvent trouver, et qui rejouent la scène au propre dans leur atelier si elle vaut le coup d'être mise au propre. Ce sont des dizaines de dessins terminés qui prennent la poussière sur leurs étagères chez moi, attendant qu'un autre regard que le mien ne daigne se poser dessus.

C'est en ne regardant pas devant moi que je percute soudainement quelqu'un, qui finit à terre aussi bien que mon calepin et mon crayon. J'ai beau être d'un naturel solitaire - sauvage, dirait ma charmante mère -, c'est vers la jeune femme au sol que ma main se dirige en premier, pour l'aider à se relever.

"Pas de..."

C'est quand elle relève les yeux vers moi que je reste coi, manquant de peu de tomber à la renverse à mon tour. Ce regard, je l'ai bien cent fois dessiné, sans même jamais savoir d'où il venait, ou s'il existait seulement.

"C'est moi qui... m'excuse."

Je finis par relâcher sa main, et son regard par la même occasion, en me rappelant de mes affaires au sol, affaires que je ramasse assez rapidement dans ma sacoche pour qu'il n'en soit pas davantage question, du moins je l'espère. Vous en connaissez cinquante, vous, des manières de dire à une femme que vous avez dessiné son portrait des dizaines de fois auparavant sans jamais l'avoir croisée? On est au delà du stalker je crois... et pourtant, quiconque me connait un minimum sait que la gente féminine et moi sommes séparés par un fossé plus vaste que la fosse des Mariannes.

Alors je sais pas s’il s'est cogné la tête en tombant, je crois pas, j'ai pas vu sa tête au sol, mais il a vraiment un regard niais quand il relève ses yeux vers moi. Comme s'il avait plus trop de cerveau. Ça me dérange pas tant que ça, mais j'ai un peu peur pour sa santé mentale, pendant un instant. Je m'en voudrais de l'avoir cogné trop fort. Ça se trouve, derrière, il pourrait avoir des troubles. J'espère pas. Ce serait vraiment moche que ça se produise. Cela dit, il finit par réagir en me disant que c'est lui qui s'excuse.

D'accord, au moins c'est clair, j'ai affaire à un de ces mecs galants qui pensent qu’une femme ne peut jamais être fautive de quoi que ce soit. Ou alors, il a un gros problème de confiance en lui et il pense que tout est toujours de sa faute. Je préfère la première option, la galanterie à notre époque, ça me fait littéralement fondre. Il est trop mignon à vouloir mettre la faute sur lui mais on va être clair, je regardais carrément pas où j'allais. Moi, je sais que j'en ai pas mal à me reprocher sur ce coup. Mais s'il est pas blessé et moi non plus, je vois pas en quoi c'est un problème.

« Aucun souci, rien de cassé de mon côté. Et du vôtre ? »

Du sien, je pense qu'il y a quelque chose de troublé, mais je pense pas que ça vienne du choc. Peut-être qu'il est en train de craquer pour moi, et si ça se trouve, c'est pour ça qu'il a l'air complètement confus. Rien que d'y penser, je commence à me demander si ce serait mon genre de mec. Il est pas moche. Il a de beaux yeux qui me regardent comme si j'étais un extraterrestre, ou comme si c'était un choc de me voir. J'y ai jamais pensé, mais peut-être qu'il connaît quelqu'un qui me ressemble. Il paraît qu'on a tous un sosie quelque part. Et il veut pas m'en parler parce que si je l’ai pas reconnu, c'est que c'est pas moi et il veut pas passer pour le gars bizarre. Sauf que à me regarder comme ça, c'est là qu'il me fait penser qu'il est bizarre. Cela dit, puisque ça ne me dérange pas, il n'y a pas de problème.

Il se précipite au sol pour tout ramasser les affaires qu'il a fait tomber. Il a l'air très confus mais je ne sais pas si c'est parce qu'il ne veut pas que je voie ou si c'est encore cette histoire comme quoi il s'en veut. Je souris. Moi, j'aime bien les hommes qui dessinent. J'aime bien les hommes créatifs, en fait. Comme je suis plutôt une tête scientifique, et que dans ma tête ce sont plutôt des chiffres et des lettres, c'est pas mal d'avoir en face de moi quelqu'un qui est plus dans la créativité. Ça me change. Bien entendu, c'est cool de pouvoir discuter avec quelqu'un qui comprend de quoi vous parlez. Mais j'aime bien me dire qu'en fait, l'autre peut me faire découvrir des choses.

« Vous faites du dessin ? Ça a l'air sympa. Je peux regarder un de vos croquis ? Celui que vous voudrez. »