a special delivery ft. Kuroo

Tu n’avais pas vu le temps passer, la tête plongée dans tes devoirs, coincé dans cette chambre. Depuis le retour de tes souvenirs, tu jouais à jeu périlleux entre ta vie d’étudiant et celle de super-héros. Madame Witoslaw, la propriétaire de cette chambre et par extension, ta tutrice, posait de plus en plus souvent des questions. Elle n’était pas folle, la vieille. Elle avait bien remarqué que tu rentrais tardivement le soir, que tu faisais le mur et que tu revenais parfois couverts d’hématomes. Jusqu’à maintenant tu étais parvenu à toutes les esquiver grâce à un certain bagou et quelques blagues bien placées dans la conversation. Seulement tu as conscience que cela ne durera pas. Surtout si tu t’amuses à provoquer des rumeurs, comme tu as fait dernièrement dans ton lycée.
Alors pour montrer patte blanche, tu avais décidé d’être sage ce soir. De ne pas sortir, pas immédiatement du moins, et de te concentrer sur cette rédaction demandée par ta professeure de français. Un exercice de réflexion qu’elle te demandait de coucher sur le papier. Bien évidemment elle ne date pas d’aujourd’hui. Tu l’as repoussé, encore et encore, jusqu’à la date buttoir qui est demain.

Les exercices de physiques, d’informatiques et de mathématiques avaient été vite bâclées, puisque c’était trop facile à ton goût. En revanche cette fameuse rédaction ; tu séchais. Cela faisait une bonne demi-heure que tu étais oisif sur ta chaise de bureau, les jambes croisées sur celui-ci, avec ton carnet de brouillon sur la tête.

Pourquoi le mystère ne cesse-t-il d’être en perpétuelle contradiction ?

Quand elle a donné le sujet à toute la classe, tu as tout de même eu l’impression que ça t’était particulièrement dirigé. Tu vas finir par tomber à cours d’excuse, si tu continues de gaffer sur tes facultés, mais c’est plus fort que toi. Ça faisait parti de ton quotidien, de ton naturel dorénavant, alors le chasser pour entrer dans un moule. Dans une banalité qui n’existe même pas, qui est fondée sur des mensonges ; ça te fait suer. En plus de cela, tu as appris récemment que tu n’étais pas si seul que cela, avec toutes ces araignées qui apparaissent. Tu as même appris qu’il existait un lieu de rassemblement pour toutes ses versions. Tu te pensais unique en ton genre ; tu l’es, mais dans le sens que tu penses.
Cela fait beaucoup trop de chose à réfléchir et tu ne le fais pas le ventre vide. Tu enlèves ce carnet de ton visage, tu te redresses et tu passes commande pour te faire livrer japonais. Ce n’est pas contre Madame Witoslaw, mais tu n’es pas fan des plats polonais. Trop lourds et trop ; bizarres.

Tu allais probablement l’entendre râler en voyant que tu avais encore commander à manger, mais ça fait partie de ton quotidien. Au moins tu es certain qu’elle est en pleine forme. En attendant que le livreur arrive, tu avais décidé de faire du clair sur ton bureau. De le ranger, puisque tu avais laissé tout en vrac. Ça ne t’aidera pas à répondre à la question de ta rédaction, mais ça influencera peut-être sur ton confort de réflexion.

En bas, la sonnette par retentir, forçant la vieille femme à se lever du canapé. Elle grommèle. Elle était si bien installée devant son feuilleton du Samedi soir. Le livreur avait d’ailleurs de la chance ; elle avait réussi à entendre la sonnette malgré le son extrêmement fort de la télévision. Si fort que toi, tu l’entendais en bruit de fond à l’étage. Elle traine sa misère et ses pantoufles jusqu’à la porte, qu’elle ouvre brutalement. Elle inspecte le malotru de haut en bas et renifle bruyamment. “Encore !” finit-elle par rugir d’une voix cassée et usée, dissonante à cause de ses cordes vocales défaillantes. Un mal qui s’explique assez rapidement, lorsqu’elle se met à hurler ton prénom. “KUROO DESCEND ! C’EST POUR TOI !” Difficile à dire si elle était en colère ou si elle voulait juste être certaine d’être entendu, mais en tout cas elle avait abandonné très vite son poste pour retourner dans le salon. Elle grommelait dans le col de son gilet. "Ah, ces jeunes d’aujourd’hui, ils savent plus rien faire de leurs dix doigts... Tout va trop vite, mais personne ne prend le temps de bien faire, tsss... Et moi, j'suis là, à attendre, comme une vieille chaussette oubliée...".
Réactif, tu es descendu presque immédiatement et en bas de l’escalier, tu la croises. Elle t’adresse un regard méprisant, auquel tu réponds un sourire amusant. « Toujours aussi charmante. » Elle te fait une grimace et se réinstalle. Tu prends le relais à la porte, vêtu en jogging et en débardeur, car tu t’étais mis prêt à aller te coucher. « Salut ! Désolé pour … L’accueil pas ouf du tout. J’sais pas si c’est le fait qu’elle ait bientôt quatre-vingt-quinze balais, mais ell- ! » Tu t’arrêtes, parce que d’un coup ton sens d’araignée s’agite. Ça vibre dans ton esprit, de la même manière qu’avec les autres à Novacrest.

Ça et le fait qu’il t’est familier pour une raison que tu ignores. Ça tête te dit quelque chose, mais contrairement au sien, tu es plus jeune déjà et tu es parti vivre aux États-Unis, alors tu as passé beaucoup moins de temps à Nekoma Hight. Pas assez pour retenir son visage en tout cas. Non ce qui t’interpelle le plus, c’est cette alerte. Tu t’avances de l’entrebâillure de la porte, pour pouvoir la fermer derrière toi une fois à l’extérieur et tu ne peux pas t’empêcher de dire : « Non mais c’est une blague, pas jusqu’au livreur quand même … » Tout autour de toi, il y a quelque chose qui se passe. Tu n’es pas déçu, mais tu es méfiant. Tu te demandes si tout ça, ça ne devient pas une mauvaise blague.