l'esprit, le sabre et le corps en un • ft. cody

D’un œil sévère, tu surveillais tes élèves en plein exercice. Malgré le temps qui passe, tu ne te fais toujours pas à cette idée d’être devenu officiellement un instructeur dans cette ville, alors que tu rechignais déjà à prendre qu’un seul élève. Il y avait du mépris dans ton regard, mais ils n’étaient pas directement la source. Tu t’adoucissais avec le temps, malheureusement. Tu devenais plus abordable, plus humain, loin de ton confort sordide et solitaire. Plus ouvert aussi, mais tu avais l’impression que c’était ce monde au complet qui ne te laissait pas le choix. L’un d’entre eux a jugé bon d’effectuer une maladresse pile à l’instant ou tu es passé à côté de lui. Il bafouille des excuses et toi, d’un air sévère et hautain, tu le juges de toute ta hauteur. “P-pardon Bal-… Monsieur !”. Seconde maladresse. Certains d’entre eux t’ont connu ici comme un camarade de classe et non un instructeur. Celui-ci était l’un d’entre eux. Deux mains gauches et des classes redoublées tellement de fois, que cela donne un aperçu de son niveau.

Tu lèves les yeux au ciel.
Tu aurais dû mettre dehors cet incompétent.

Pourtant tu admires quelque part son acharnement. Sa volonté de s’améliorer. Tu es le mieux placé pour savoir que le talent ne s’obtient pas tout de suite. C’est comme un bon vin ; il se bonifie avec le temps. « Redresse tes épaules et détend tes coudes. Solidifie tes appuies sur tes jambes. » À chaque parti du corps cité, tu lui donnes un petit coup de bokken pour que les corrections soient immédiates. Beaucoup ici dira que tu t’es durci ces trois derniers mois. Que tu n’es plus aussi ouvert et arrogant qu’auparavant, que tu t’es assombri. Ils auront raison ; parce que tu as retrouvé toute ta tête.
Il y a néanmoins des petits restants de “Balthazar”. Des résidus de son comportement dans le tien. Même si tu étais sous un autre visage, pendant une autre vie, tu as appris de celle-ci la patience. Tu avais déjà des notions, mais elles se sont considérablement développées. En revanche, tu n’aimes toujours pas instruire. Si tu restes, c’est uniquement parce que tu ne sais pas quoi faire de tes journées et que cela a le mérite de t’occuper.

Celui à qui tu as corrigé la posture hoche vivement la tête et reprends son entrainement. Parce qu’il ne veut pas se prendre d’autres coups de bâton, il retrouve immédiatement son sérieux dans ses postures et sa gestuel. Tu hausses un sourcil en le voyant faire. Tu as l’impression de l’avoir tranché en deux, alors que tu n’as fait que des petits tapotements. Heureusement pour lui que tu maîtrises ta force d’ailleurs. Autrement il aurait été assommé et transporté à l’hôpital, parce que tu serais parvenu à lui rompre les tendons avec un simple sabre en bois. Ce qui n’est pas ton but, bien évidemment. Tu ne veux pas de complications, ni avoir ses parents larmoyants dans ton bureau.

Tu continues ta rôde et tu t’arrêtes au niveau du troisième rang, car celui au milieu qui répète les mouvements en boucle, comme tu l’avais ordonné, est probablement le pire en termes d’assurance que tu aurais pu voir jusqu’ici. Il tremble, il hésite, il regarde ce qui se passe autour de lui et il essaye de copier, d’apprendre par mimétisme.
Tu soupires.

Qu’est-ce qu’il fiche ici ?

« Arrête de vouloir faire comme tes voisins, fais-le à ta manière. Avant ça, trouve-la. Tu m’as l’air perdu. » Tu as le regard rivé sur ce garçon et donc, cela permet aux autres de comprendre que ce n’est pas eux que tu t’adresses. Ils ne s’arrêtent pas. Pas tous. Certains hésitent à te laisser passer, mais tu ne donnes aucun signe d’une volonté de passer. Tu te contentes d’observer de loin, en espérant que cela suffise.

Tu entends vaguement le son des excuses. Tu ne bronches pas face à celle-ci et tu te contentes de lui tourner le dos. Tu les as entendu. De là à dire que tu les as pris en considération ; mieux vaut ne pas aller trop vite en besogne. Des mots, cela ne vaut rien sans le poids des actes. Ils sont vides de sens et d’importance. Malgré tout, tu gardes un œil sur ce dernier. Tu es curieux, c’est la première fois que tu le voies ici, dans ce dojo. “Ce”, car tu refuses encore qu’il soit dénommé comme le tien. Ce serait le premier pas pour t’enchainer ici, après tout. Ce n’est pas dans tes projets, de demeurer toute ta vie à supporter leurs humeurs puériles. Tu refuses déjà de les aider à se relever.

L’heure passe et il ne se passe rien.
Rien d’inhabituel qui vaille la peine d’être relevée.

Tu sembles ennuyé ou t’ennuyé, tu ne saurais dire. En tout cas une chose est sûre, tu n’es pas ravi d’être bloqué ici. Tu prends le temps de t’asseoir et tu ne fais rien de plus durant ta courte pause. Rien de remarquable, alors que pourtant tes pensées fourmillent. Tu repenses à sa proposition. Celle de partir avec lui. Elle est tentante, mais tu aimes avoir un cap. Tu aimes savoir où tu vas. Est-ce que seulement Shanks sait réellement où il va ? Tu n’en es pas certains. Personne ne l’est ici, puisque personne n’est réellement capable d’expliquer ce qui s’est passé. Tu t’es fais une raison, tu laisses couler. Tu t’adaptes, comme tu l’as toujours fait. D’une certaine manière cela t’arrange ; cette histoire de Cross Guild ne t’a pas vraiment emballée. Tu as dit oui, parce que tu y as vu une manière subtile de prendre une revanche sur le Gouvernement Mondial, qui vous ont jeté après de bons et plus ou moins loyaux services.

Une voie te coupe dans tes songes, tu reviens.
Celle de ce garçon, cette nouvelle figure dans les rangs de tes élèves. « De conseils ? Hm… » Tu commences à passer tes doigts sur ton bouc, songeur. Tu doutes sur ses intentions et ses envies. La plupart de ces gamins qui viennent s’entrainer ici savent ce qu’ils veulent. Or là, ce n’est pas l’impression qu’il te donne, à se présenter à toi comme un enfant perdu. Il a néanmoins le mérite de reconnaître ses fautes et ses faiblesses, ce que beaucoup ici ne sait pas faire. « Pour commencer, je dirais que tu es en bonne voie pour trouver la tienne. Rares sont ceux qui reconnaissent avoir besoin d’aide pour avancer, mais il n’y a pas de manuels. Il n’y a pas de schéma à suivre. » Dans ces moments, tu aurais bien aimé avoir un verre de vin, mais tu t’abstiens. Après tout ta journée ici n’est pas terminée et tu veux garder ton esprit intact pour ne pas te retrouver à dire n’importe quoi.

Tu pourrais lui donner la solution, mais là encore est-ce que ce sera réellement la direction qu’il souhaite prendre, ou toi qui l’influencera pour qu’il suit ce que tu attends des autres ? De chacun des élèves ici présents ?

« Pourquoi tu es entré dans ce dojo ? Quels sont tes motivations à venir t’exercer ici ? Pourquoi as-tu décidé de t’entrainer au maniement du sabre ? » Ces questions, tu ne les poses pas pour t’intéresser à sa personne. Tu les poses pour qu’il s’intéresse à lui-même, à ce qui l’a poussé à venir ici. Il peut te répondre que c’est un coup de tête, tu ne lui en voudras pas. En revanche tu refuseras de lui donner une quelconque leçon et il ne devra pas attendre de ta part quoi que ce soit, car tu ne voies pas en quoi tu dois perdre ton temps avec ce genre d’individu. En revanche, s’il le fait pour d’autres. Pour tenir une promesse, pour être plus fort, pour être capable de rivaliser avec plus grands que lui ; il a une chance pour que tu lui accordes quelques minutes.
En tout cas plus tu le regardes, et plus cette étincelle dans son regard te parait familier. Tu ne saurais expliquer pour quelle raison, mais il te fait penser à quelqu’un. Des gens bons, un peu nigauds sur les bords, mais avec des intentions pures et un charisme formidable pour rallier des personnes à sa cause, tu en connais un autre. Cependant celui-ci semble tout l’inverse de ce dernier, comme s’il s’agissait d’une face cachée de la même pièce.