L'errance médicale, voilà ce qu'il pouvait y avoir de pire à mes yeux. Ne pas savoir ce que j'avais, ne pas voir d'évolution ou ne pas obtenir de solution ou traitement... Et cela faisait maintenant un bon moment que je naviguais dans cette ignorance des plus désagréable. Rien ne semblait pourtant alarmant, des plaques rouges qui s'amusent à disparaître et à apparaître, des plaques qui me démangent par intermittence. Certains pensent à une allergie, d'autre à une maladie génétique mais pourtant je reste persuadé qu'il y a quelque chose derrière tout ça. Que quelque chose cloche encore plus profondément que ce qu'on pourrait imaginer mais peu osent me croire tout simplement parce que ma réputation de malade imaginaire commençait à faire le tour de l'île. Quel malheur... Lors d'une de mes dernières visites, je m'étais aventurée dans l'aile de la chirurgie esthétique, expliquant mon problème pour essayer de trouver une autre solution qui semblait plus plastique. Mais je n'avais jamais passé le pas, comme si une voix intérieure me chuchotait que ça sera inutile, que quoi que je fasse, ça reviendra toujours comme si ces plaques faisaient partie de moi.
Le rendez-vous avec le chirurgien esthétique m'avait épuisée, je me sentais lésée même si il m'expliquait qu'il pouvait essayer mais sans aucune promesse du bon fonctionnement. J'avais toujours tant de mal à faire confiance aux autres et d'autant plus au corps médical. Il me proposait de réfléchir, de prendre le temps pour faire le bon choix. Y avait-il seulement un bon choix dans cette situation ? Je n'en étais plus vraiment sûre. J'avais quitté le bureau dans lequel j'étais restée au moins deux bonnes heures à discuter en long, en large et en travers sans conclusion réelle. C'est donc un peu désespérée que je marchais dans les couloirs de l'hôpital, je commençais même à me demander si tout ça n'était pas dans ma tête, tout comme ce souvenir d'un jeune homme aux cheveux blonds et à la voix cristalline. Si tout ça ce n'était que mon imagination finalement ? La mine renfrognée, je continuais mon chemin vers la sortie jusqu'à passer devant un bureau qui se trouvait généralement vide car la personne à qui il appartenait était la plupart du temps au bloc ou ailleurs. Je m'arrêtais, observant la plaque sur laquelle le nom de cette chirurgienne apparaissait. Quelques lettres que je reconnaissais vaguement, j'avais déjà entendu ce nom quelque part. Un peu curieuse, je passais ma tête pour voir à travers la fenêtre alors que je remarquais qu'elle était à l'intérieur cette fois.
« Laisse tomber, c'est dans ta tête... » que je me chuchotais à moi-même alors que j'étais plongée dans un dilemme entre partir comme le prévoyait cette fin de journée ou alors tenter le tout pour le tout. Je me mordillais légèrement la lèvre inférieure avant de hausser les épaules et je vins toquer à la porte avant de m'avancer directement en poussant la porte sans attendre. Que je pouvais parfois me montrer directe... Mais c'était dans mon tempérament, du moins la plupart du temps je n'hésitais pas à me lancer dans la bataille. Pourtant, une fois arrivée dans le bureau face à la chirurgienne, je faisais un peu moins la fière mais j'essayais pourtant de me montrer droite, la mine désolée de cette intrusion mais on pouvait aussi lire sur mon visage un désespoir inégal et inexpliqué. Parce que oui, tout ça c'était dans ma tête tout simplement parce que je n'étais pas toi-même. « Je suis désolée de faire intrusion de la sorte dans votre bureau mais je cherche de l'aide... Un avis, des conseils... N'importe quoi. » Que je lui avouais alors tout en baissant les yeux, ma main gauche venant se plaquer sur mon bras droit alors que je me mets à gratter frénétiquement celui-ci, n'améliorant sûrement pas mon cas.
nota bene 13/08/24 - metro-general hospital - ambiance
Tu peux souffler, enfin. C’est donc ça, le métier de chirurgien dans ce monde ? Des esclaves modernes aux services des plus vieux, à trimer jusqu’à ne plus penser à regarder le soleil et à se faire traiter comme de la merde à la moindre contrariété ? Quelle vie de rêve. C’est effarant. Si tu avais su, tu aurais envoyé sur les roses ton chef de service beaucoup plus tôt. D’où tu viens, prendre soin des autres est une vocation, mais si tu t’es entêté là-dedans, c’est parce que tu as été marqué par le rejet de tous ses ronflants qui ne soignent que s’ils sont certains de pouvoir le faire. Pas pour travailler à la chaîne comme dans une usine. L’accumulation a eu raison de ta patience. Tu as craqué, simplement parce qu’il t’a mal parlé. Si le fait qu’il ne se soit pas trop penché sur ton dossier t’arrange, il aurait quand même dû se renseigner un minimum. Avant d’être une chirurgienne, tu es un pirate. Tu as ton caractère et une attache certaine à ta liberté.
Sur un coup de tête, tu étais retourné à ton bureau. Tu commençais à ranger tes affaires, prête à te barrer loin d’ici et imploser autre part. Au bord de la mer, par exemple.
Cependant, tes plans d’évasion ont été compromis.
Une jeune femme entre dans ton bureau, non sans un certain panache, et t’interpelle. Ton regard aiguisé trahie ta pensée ; elle a l’air désespéré. C’est du moins la conclusion que tu en tires, à cause du simple fait qu’elle soit venue te voir toi, chirurgienne talentueuse, mais contre les conventions et revêche. « Il a le service administratif pour ça. » Lances-tu dans l’élan de ta contrariété, toujours omniprésente. Elle n’arrive pas au bon moment et tu te précipites sans réfléchir. Tu t’enfermes avec une idée fixe dans la tête ; celle de laisser dans la merde ton chef une journée, sans le prévenir, pour lui donner une leçon et voir comment il se débrouille sans toi. Vous devriez tous faire ceci ici, juste pour lui faire les pieds. Tu aurais pu rester ainsi, à la laisser sur le carreau, mais tu vois du coin de l’œil, alors que tu veux faire savoir qu’elle n’a pas ton attention, ses plaques rouges et ses démangeaisons. Elle t’intrigue. L’expérience en mer t’a appris de ne pas te fier aux premiers diagnostiques, aux premières impressions. À vu de nez, ça ressemble excessivement à de l’eczéma. « Asseyez-vous. Je ne vous promets pas des réponses exactes en revanche, alors vous risquez d’être déçue. » Tu acceptes finalement. C’est peut-être ça, ce dont tu as besoin. Juste de t’asseoir et discuter avec quelqu’un.
Tu la laisses s’installer et tu te diriges vers la porte, que tu fermes une fois qu’elle est entrée. À clé. Tu ne veux pas être dérangée, parce que tu sais que tôt ou tard, il allait finir par te tomber sur le coin du dos s’il te trouve encore dans le service. Tu ne dis rien à ce sujet. Tu ne comptes pas la séquestrer ici. Tu as d’autres chats à fouetter.
Une fois la tranquillité assurée, tu retournes derrière le bureau, à ta place. Tu t’y assois et tu prends une posture, inédite, mais décontractée. Tu es avachie dans ton siège, à regarder la pendule et à te demander pourquoi tu prends la peine de rester là, à attendre, alors que tu pourrais te barrer d’ici et revenir au même instant d’un claquement de doigts. « C’est à propos de vos plaques, c’est ça ? J’ai entendu votre cas. Des rumeurs en tout cas. Vous avez songé à passer des tests pour déterminer de potentiels allergies ? Chat, chien, crevette, fruit de mer, pollen, acariens ; y’a tout un tas de facteur qui peuvent déclencher une crise d’eczéma, mais mes petits doigts me dit que si c’était si simple, ça serait déjà réglé, n’est-ce pas ? » Tu vois un diagnostic comme un exercice de logique et puisque tu t’entêtes à ne pas vouloir t’arrêter à l’évidence, voilà une façon pour toi de démarrer par la fin. Penser comme quelqu’un qui voudrait bâcler son travail ou qui aurait un excès de confiance, c’est une très bonne manière de se tromper.
D’autant que toi-même, tu es le mieux placer pour savoir que des plaques sur la peau, ça ne se provoque pas uniquement à cause d’une allergie. Dans ton cas, c’était un empoisonnement et même si tu n’avais pas les démangeaisons, tu ne pouvais pas cacher tes tâches blanches sur ta peau à la face du monde. C’est peut-être pour ça que tu lui accordes du temps, finalement. Parce que son cas a fait échos aux tiens, il y a bien longtemps et que tu sais à quel point on peut être désespéré, en effet, de ne pas trouver une main tendue. « C’est ça, ce qu’ils vous ont dit ? Une allergie ? Ici c’est triste à dire, mais des vies, à force d’en sauver plein à la minute, ils perdent de vue la valeur de chacune d’entre elle. C’est le rendement qui compte maintenant, avant la santé des patients. Parce qu’ils sont pressés de retrouver leurs petites familles. Je ne pense pas que ça soit une allergie, votre truc. »
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( crédit : warriorcrazy)
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