Dans cette ville sans ciel, où chaque immeuble tente de gratter sa place parmi les étoiles, tu n’aurais jamais songé à trouver un endroit aussi paisible. Aussi réconfortant.

Drôle d’histoire encore, mais cette fois-ci tu as été invité à un mariage. Celui de ton chef d’équipe, du centre de police de Novacrest City. Comment le décrire ? Il a tout du cliché de l’américain modèle. Bienveillant avec tout le monde, convivial, séduisant, populaire ; Tout ce que tu détestes en somme et qui te donne envie de vomir des araignées par les orbites. Tu n’es pas dupe. Tu sais pertinemment pourquoi il t’a invité : pour se faire passer pour un bon samaritain, avec une bonne dose d’excuse coulante comme “les fêtes, c’est bon pour resserrer les liens”. Ce genre de bêtises.
Le véritable geste à ton attention, cela aurait été de te laisser en paix. De t’oublier. Tu n’aurais pas éprouvé la moindre rancœur de toute façon à avoir été le seul de non-convié. Quoi que … De la rancœur non, mais tu es suffisamment fourbe pour remettre l’argument sur la table afin d’asséner une pique assassine.

Tu n’en pouvais plus de ces musiques ringardes à fond, de ces rires de pintades et de ces alcools qui ne peuvent même pas te soûler. Alors tu t’étais isolé. Tu avais quitté la tente installée au bord de mer pour l’occasion et tu avais fait quelques mètres plus loin, assez pour que les années quatre-vingt en boucle ne soit qu’un faible bruit de fond. Tu es ronchon, parce que tu n’es pas à ton aise.

L’esprit de fête. Cela fait bien longtemps qu’il s’est éteint.
Quelle ironie ! Toi qui es l’allégorie de l’une d’entre elles.

Tu sens esprit vaciller et se pencher à nouveau dans le néant de ton désespoir, alors tu réagis assez vite. Tu sors de ta veste un petit flacon et tu prends tes cachets, qui ne sont que pure placebo. Tu les remets dans ta poche et tu troques ceci par un paquet de cigarette. La flamme se met à briller, mais elle est comme celle de ton cœur. Elle s’embrase qu’un court instant, assez pour allumer ce bâtonnet toxique, qui te permet de t’occuper les doigts plus que de t’empoisonner. L’avantage d’être mort, c’est qu’on peut fumer à volonté sans tous les effets nocifs. Un bon point ! Au moins un.
Au fond tu sais que ton chef avait de bonnes intentions à t’inviter. Que ce n’était pas uniquement pour se faire bien voir, mais aussi pour t’aider à sa maigre échelle. Pour que tu ne sois pas seul. Il y a bien entendu toute la question épineuse de ton dossier judiciaire qui justifie administrativement la surveillance, mais il y a aussi l’humanité. Tu l’ignores ou tu refuses de le reconnaître, mais la solitude n’est pas bonne pour toi. Quand bien même tu cries sur tous les toits le contraire. Elle n’est bonne pour personne. Pas même le roi d’halloween.

« Je suis marié à la peur, l'horreur et la terreur. Pour le meilleur et surtout le pire… » Une pensée qui s’échappe. Un morceau d’une complainte. La tienne, Jack. Combien de temps s’est écoulé et que s’est-il passé entre temps ? Rien. Alors pourquoi tu sens ton âme sourire tristement ? Cette même complainte, elle ne date pas d’hier, mais elle est toujours présente.

Nouveau monde, nouvelle possibilité et pourtant, tu le sais ; rien n’a réellement changé. Tu soupires ta fumée et tu t’accroches malgré tout. Tu dis que le changement est en route. Tu tournes un regard vers cette tente où tes proches vivants s’amusent. Jamais tu n’aurais songé à assister à un mariage bien humain, bien vivant. Pourtant tu n’arrives pas à t’émerveiller devant cette nouveauté. Tu te contentes de regarder de loin, te demandant ce qui les rends heureux. Tout ce que tu vois toi, c’est une vision bien noire. Tu vois deux individus s’enchainer à vie l’un à l’autre et fêter cette mise aux fers. Curieux et étrange. Est-ce une façon d’ignorer l’emprisonnement ? Tu ne comprends pas et tu n’as pas envie de comprendre.

Très étrange, cette scène.

La musique du mariage n’est qu’un vague bruit de fond, qui ne gâche pas le tumulte des vagues. Tu es assis là, sur ton rocher, comme un sinistre penseur. Une idée de traverse l’esprit, puis deux. Toutes au goût de ton humour particulier. Aucune qui ne plairait aux jeunes mariés. Parmi elles, mettre le feu. Au sens propre. Cela réchaufferait l’atmosphère et confirmerait le fait suivant : regrettable erreur qu’est celle de t’inviter à ces festivités. Tu te demandes également ce que serait leurs réactions si tu perdais un morceau devant eux. Tu as même un élan pour la science, avant de te raviser. Ce sera pénible plus qu’amusant.
Tu soupires alors ; définitivement non, ce n’est pas fait pour toi. Tu as une manière de t’amuser et de prendre du plaisir bien trop à l’opposé des normes. Tu en serais navré de contraindre ton chef de te coffrer pour homicide involontaire le jour de son propre mariage. Quoi que…

Ton regard se perd à nouveau dans l’horizon ou presque, puisque c’est à cet instant que tu repères cette petite blonde, qui a visiblement eu la même idée que toi. À la différence près que tu n’avais pas songé à tremper tes pieds dans l’eau. Ce n’est pas la mariée à en juger par la couleur de sa robe. Tu ne te souviens pas non plus l’avoir vu en demoiselle d’honneur, alors tu te dis que c’est probablement l’une amies de la mariée. Tu la dévisages un long instant, car quelque chose t’intrigue chez elle. Non pas que tu demandes que tout le monde saute au plafond et fasse au moins semblant d’être ravi de l’invitation, mais tu es le maître des morts et légiste. Tu sais regarder dans les détails. Les petites choses intrigantes.

Un coup d’œil à droite, puis à gauche et enfin derrière, tu te décides finalement à te lever et à la rejoindre. Ton pas est feutré, parce que tu ne contrôles pas cette faculté et c’est à cause de cette même discrétion que tu es aussi bon pour ce qui est de terroriser. Tu n’entre pas dans l’eau en revanche, car tu ne tiens pas à te mouiller. Tu manifestes simplement ta présence en lançant une remarque : « La plage est un bon endroit pour méditer, visiblement. Heureusement pour nous, ils n’ont pas encore eu l’idée d’un bain de minuit. » Ne parle pas trop fort, cela pourrait finir par arriver. Cela va surement arriver même, car à boire comme ils le font, ces idiots vont finir par avoir trop chaud et guidés par la volonté de se rafraichir, ils vont profiter de la proximité avec la mer pour. « Si l’un d’entre eux meurt noyés, il faudra que je songe à noter des heures supplémentaires. » Un sourire perce, fier de ta macabre ironie. Ce n’est pas pour cela que tu as accepté de venir, mais pour toi se serais enfin quelque chose d’intéressant.

« Bonsoir. »
Enfin. Avec ces mauvaises plaisanteries, tu en aurais presque oublié la politesse.

Les vagues font que l’eau frôle tes pieds et c’est lorsque tu le remarques que tu as un pas de recul. Tu ne crains pas l’eau. Tu n’as peur de rien. Tu es l’esprit de la peur. Tu ne veux pas être embêté ou contraint de devoir te sécher. Le sel n’est pas bon pour tes vieux os en plus de cela, car cela les érode. « Vous a-t-on aussi contrainte de venir pour que vous ayez cet air aussi mélancolique ? » Tu te doutes bien que non, Jack. Qu’ils ne soient pas tous comme toi, usé et triste, et que c’est autre chose qui la tracasse. Tu rajoutes alors, comme pour amener tes propres avec une pincée de sous-entendus subtile : « Faites attention à ne pas piquer une tête. Votre maquillage ne le supporterait pas. » Tu souries et cela te donne un air carnassier, mais accentue ta fatigue. Tu souries, mais tu ne te moques pas d’elle. Tu souries de l’évidence soulevée, sans vraiment chercher à savoir si elle avait nagé pour commencer.

« Heureusement. » Du tac-au-tac face à ses observations. Heureusement qu’ils ne songent pas tout de suite à venir briser votre quiétude à coup de rire et de mauvaises chansons des années quatre-vingt. Tu n’aurais plus qu’à effectuer un demi-tour et repartir sous cette tente blanche déserté. Trop lumineuse pour tes vieux yeux, qui plus est. Elle ne semble pas gênée par ta présence. Elle ne te repousse pas. Elle ne te demande pas de partir. Tant mieux. Ou tant pis. Tu ne sais pas, tu n’arrives pas à te décider. L’un comme l’autre, tu aurais trouvé de toute façon une autre méthode d’approche. Cela t’arrange tout de même que cela reste dans la courtoisie, car tu n’étais pas suffisamment courageux ce soir pour une course poursuite ridicule en bord de mer.

Sauf !
Si ça pourrit le mariage et l’anime en même temps. Là tu veux bien fournir un effort, car cela promet d’être un spectacle inoubliable pour tous ici présents.

« Principalement oui. Légiste, fossoyeur et peut-être le prochain chef de la police, qui sait ? Tant que cela ne m’éloigne pas trop de mes sujets de prédilection. » Chef de la police. Quelle idée. Hormis ce point saugrenu, tu ne cherches pas à mentir. Ce n’était pas dans tes intentions et dans le cas contraire, tu ne te serais pas permis une telle remarque sur de potentiels heures supplémentaires.
Tu veilles toujours à rester à bonne distance de l’eau et à ce que celle-ci ne te touche pas. Tu t’allumes néanmoins une nouvelle cigarette, la précédente ayant fini écrasée sur le sable, sous ta chaussure alors que tu venais de te décider à bouger de ton rocher. Tu l’écoutes et tu profites de son discours, qu’elle est son attention dedans, pour l’analyser. Il y a du maquillage sur des zones normalement peu maquillées par les dames. Malgré tout, même si l’impression que tu donnes peu donner l’impression exactement inverse, tu restes attentif à ses explications.

Seuls les simples d’esprits ne comprendraient pas le sens de ses pensées, mais pour toi qui n’es ni amnésique, ni dans une vie originelle, tu fais tes connexions et finalement, tu te lances sans plus tourner autour du pot. « Le destin est assez farceur, Emily. Je pense même qu’il se plait à ironiser nos existences. Je suis certain d’être le plus à même de comprendre cette sensation d’ironie et cela ne fait que confirmer la farce de ce destin, justement. » Tu prends à nouveau un peu de recul par rapport à l’eau, assez pour pouvoir t’asseoir dans le sable sans que la mer en profite pour chatouiller tes orteils. « Vous m’en voyez ravis, parce que je ne serais pas comment le justifier et je ne tiens pas à avoir un meurtre qui n’est pas de mon fait sur le dos. » Tu ne te souviens pas l’avoir tué, cette jeune fille en tout cas et tu n’as aucun souci de mémoire. Ton esprit est très clair à ce sujet.

Le souci étant, c’est que tu traines tes propres casseroles et que tu as beau avoir menti, si les vautours qui te servent de collègues commencent à creuser sur toi, ils pourraient déterrer des choses qui auraient mieux fait de rester sous terre.

« Hm … Ami est un bien grand mot. Disons plutôt que je suis en ; cure sociale. Le marié est mon chef d’équipe. Je cherche encore l’intérêt de m’avoir trainé ici, si ce n’est pour me projeter son bonheur en pleine face ou me sortir comme un petit animal de compagnie. » Tu étais très bien sur ton canapé, à regarder les dernières vidéos Youtube sur des tueurs en série, des cryptides, des monstres, des enquêtes. Tu aurais préféré rester ainsi face à ce genre de documentaire, de reportage ou de vlog sensationnel pour stimuler ta réflexion, plutôt que de devoir faire la plante-verte à un mariage qui n’est même pas le tien. « Voyez-vous, je songeais également à ma vie d’avant, mais je cherchais également des réponses sur des questions d’ordre philosophique. Je ne comprends pas cette nécessité qu’on les vivant à vouloir à tout prix s’enchainer à une personne à vie. » Ou plusieurs ! Ta réflexion est vieux jeu, car les mœurs évoluent. Le mariage monogame perd en vitesse, car les nouvelles générations ont justement eu la même question qui te taraude. Avant un devoir familial, ils veulent se sentir bien dans leur peau et c’est tout à leur honneur de penser ainsi. « J’ai presque envie de lancer les paris ; au bout de combien de temps pensez-vous qu’il ou elle va le ou la tromper et briser ses rêves de fidélité éternelle ? »

Un point commun. Un autre, alors tu l’écoutes avec un air évasif. Tu ne te fais pas d’idée, tu restes suffisamment pragmatique pour prendre en considération l’option comme quoi, votre tranquillité sera écourtée tôt ou tard. Tu espères seulement que cela soit le plus tard possible. Espérer ; quelle ironie. Une idiotie qui revient dans ton quotidien, depuis que tu as posé les pieds ici. Elle n’est pas désagréable, mais elle te brisera le cœur tôt ou tard. Ou du moins ce qu’il en reste.

Un bon chef de police ? « Je plaisantais. Pitié, non. » Quelques mots qui s’échappent, comme une pensée trop forte pour rester inaudible. « J’ai déjà suffisamment à faire avec des morts qui ne veulent pas partir dans ma morgue et mon cimetière, aurais-je seulement le temps de m’occuper des soucis des vivants ? » Tu ne dors pas, tu n’en as pas besoin. Tu as déjà plus de temps qu’eux. Tu refuses plutôt toute forme de responsabilité et tu aspires à la tranquillité. Tu as déjà suffisamment donné, Tyran. Tu ne veux pas replonger et te retrouver à nouveau dévoré par la haine, à cause de l’ingratitude d’autrui à répétition et le manque de considération. Tu ne veux pas replonger dans cette spirale infernale, duquel tu ressors tout juste. Tu ne veux plus te prendre la tête avec toutes ces bêtises, mais s’il faudra ressortir tes outils de torture et dépiécer du joli monde pour avoir un tant soit peu la paix, tu n’hésiteras pas un seul instant.
« J’ai remarqué. Merci de confirmer mes observations cela dit. » Tu ne dis rien de plus et tu sembles t’amuser. Tu as cet éclat jovial et morbide à la fois dans tes pupilles illusoires. Tu as envie de la taquiner, de mettre les pieds dans le plat, mais tu es suffisamment gentleman pour ne pas la forcer.

Visiblement, elle voit ceci comme une tare et non comme une bénédiction.
Tu te trouves plutôt dans la seconde.

Ta réflexion suivante n’était cependant pas un hameçon lancé, comme ce fût le cas pour les premières, à son encontre. Pourtant elle mord et farouchement de surcroît. Un comportement soudain qui laisse à penser que le sujet la touche plus que tu ne le crois et pourtant, tu restes détacher. Impassible. Ces airs épuisés restent scotchés à ton visage et quand bien même sa réflexion est recevable, elle ne suffit pas à te faire changer d’avis. Au contraire ce qu’elle avance te rappelle une certaine poupée de chiffon, qui avait le même discours. Qui espérait naïvement que cet amour véritable, tu le partages avec elle. Cependant la désillusion fût cruelle, quand elle se rendit compte de son erreur, alors que tu allumais le feu du bucher, sur lequel elle reposait en morceau.

Cela t’agace parce que maintenant, avec du recul, tu ne regrettes en rien ton geste. Elle t’avait agacé au plus haut point, à se mêler de ce qui ne le regardait pas, à vouloir à tout prix te faire changer. Elle aussi, elle n’avait rien écouté à tes complaintes. Elle aussi, elle était comme tous les autres, à vouloir te mettre dans un moule, à faire ce de toi ce qu’elle voulait. Ce qu’elle attendait.

Alors lorsque tu entends un tel discours, ta mâchoire se crispe légèrement. Tu t’efforces néanmoins à garder ton calme, tu fermes les yeux pour reprendre à zéro tes observations. Pour faire comme si tu n’avais rien entendu. « L’hardiesse dont vous faites preuve pour défendre ce “grand amour” me laisse croire que vous êtes concernée par celui-ci, je me trompe ? Si je vise juste, permettez-moi une question ; à vous entendre, le grand amour semble magnifique, radieux ; une véritable guimauve de bonheur qui fond sous la langue, mais est-ce que cette promesse vaut la peine d’être tuée pour elle ? » Tu rouvres un œil, puis le second. Durant les secondes où tous tes tendons restant se sont tendus sous le vent de la haine, tu avais brulé, consommé, l’entièreté de ta cigarette. Une fumée absorbée en quantité, qui ressort dorénavant de partout. De ta bouche et de ton nez, bien évidemment, mais aussi de tes yeux et de ton col. D’endroits supposés fermés par lesquels tes poumons ne sont pas censés expulsés d’air. « Enchainé donc, à une promesse en l’air. C’est du moins ce que j’en ai déduit quand celle qui se prétendait être “mon grand amour” a pris la confiance et à chercher à me formater. Elle n’aimait pas l’homme, mais ce qu’elle voulait qu’il soit. Quelque chose qui m’horripile encore maintenant, lorsque j’y pense. »

L’aveu sort, comme une main tendue. Un premier pas en guise de bonne foi. Tu finis d’expirer et tu dis simplement : « Je me suis laissé emporter, navré. Il se pourrait que le sujet ne soit pas totalement parti aux oubliettes. Dire que je m’étais promis de ne plus y songer il y a quelques siècles de cela. »