Rencontre du troisième type ♚ Kiara

Une affaire particulièrement difficile de divorce m’avait tenue éveillée pendant plusieurs jours, j’avais dû faire appel non seulement à une assistante sociale mais également à Angélie qui était spécialisée en développement familial, tout ceci pour permettre de faire passer le bien de l’enfant avant, ce dernier bien que mineur était cependant largement en âge d’avoir un avocat pour le représenter et c’était à moi que l’on avait fait appel pour défendre ses droits. Les deux parents n’arrivaient pas à s’entendre pour une séparation à l’amiable, et les avocats les représentants n’en avaient pas mené large lorsqu’il m’avaient vu débarquer pour m’occuper du dossier du jeune. J’avais une réputation et un surnom qui me collaient à la peau, les deux évoquant de manière plutôt comique la férocité de l’animale que j’avais été. Ma priorité était le bien être de l’enfant, c’était pour cette raison que j’avais demandé l’intervention de spécialistes. Heureusement, les demandes avaient été écoutées et en attendant qu’un accord soit trouvé entre les deux parents, il était allé vivre chez sa grand-mère comme il le souhaitait.

Il me fallait quelque chose de moins prenant émotionnellement parlant, c’était pour cette raison que j’avais décidé de m’occuper d’une jeune influenceuse. Contrairement à ce que beaucoup de gens pensaient, l’influence était un métier, ce n’était pas uniquement poster quelque chose sur les réseaux sociaux et attendre que la chance fasse le reste. Mais comme pour tous les nouveaux métiers il souffrait encore de préjugés, sans parler du fait que de nouvelles lois permettant de l’encadrer voyaient le jour. Influenceur ne voulait pas nécessairement dire “voleur”.  

Si les préjugés venaient surtout des anciennes générations, j’avais aussi pu en remarquer chez les plus jeunes. Le monde évoluait simplement, et il fallait s’adapter. En tant qu’avocate, je devais justement faire preuve d'adaptabilité. Les lois évoluaient à toute vitesse et il fallait constamment rester attentive aux nouveautés, heureusement j’avais pu faire mes armes lorsque des entreprises me contactaient justement dans le but d’établir des partenariats avec des influenceurs. Dans ces cas-là, je m’occupais de la relecture des termes juridiques et ajoutais les modifications que j’estimais utile afin de protéger les deux partis comme il se devait. Ce n’était pas aussi prenant qu’un véritable dossier à traiter, et je faisais généralement ça en complément.

Si j’aimais mon travail, je ne pouvais pas constamment travailler sur de grosses affaires, déjà parce que c’était humainement impossible et aussi parce que j’avais besoin de varier entre deux dossiers extrêmement prenant. Je n’étais pas un robot, et l’affaire de divorce que j’avais eu à traiter dernièrement avait remué des souvenirs peu réjouissants. L’adolescent m’avait sur divers aspects fait énormément penser à Simba lorsqu’il était jeune, si je n’étais pas une personne rancunière de base, je n’avais en revanche jamais pu pardonner à Scar tout le mal qu’il avait fait. Pour satisfaire son ambition et sa jalousie vis à vis de Mufasa, il l’avait tué sans aucun scrupule et pire encore, il avait été jusqu’à vouloir faire de même avec mon fils afin d’être certain qu’il n’y aurait personne pour prendre le trône si ce n’est lui. Et tout ça pour quoi ? Pour détruire complètement son “royaume”, jusqu’au bout j’avais tenue refusant de quitter La Terre des Lions, mais je savais également que si il n’était plus rien resté du tout pour survivre il nous aurait fallu partir et abandonner la terre de nos ancêtres pour nous établir dans un autre royaume. La savane était vaste, et La Terre des Lions n’en était qu’une infime partie.

Mais je ne sais par quel miracle, Simba avait survécu à tout cela, bien qu’après l’affrontement avec Scar j’avais pu me rendre compte de l’ampleur des dégâts causés par le frère de Mufasa sur la psychée de mon fils. Nala avait beau lui avoir secoué les puces comme elle le disait elle-même, il y avait encore énormément de travail à faire. Si Zazu avait émis quelques doutes sur sa capacité à gouverner, je lui avait simplement répondu que si Mufasa avait toujours été parmi nous, Simba n’aurait pas toutes les responsabilités qui lui tombaient dessus, en attendant que le moment soit propice, j’étais toujours là. La grand-mère de Simba, avait été l’héritière du trône et pas son grand-père, c’est de par sa mère que Mufasa avait été destiné à devenir roi. Alors lion ou lionne, cela n’avait pas d’importance sur qui gouverne.

Et aujourd’hui, je me retrouvais à nouveau veuve, avec un fils disparu. Je m’étais rendue au bureau du RVA une fois réveillée avec l’espoir de recevoir de l’aide pour retrouver Simba, mais on m’avait répondu que s’il était maudit, il serait difficile de le retrouver. Et n’ayant toujours aucune nouvelle, je commençais à me dire que c’était le cas.

“Maitre King, votre cliente est arrivé”

- Merci, dites lui que j’arrive tout de suite

Ce n’était pas le moment d’être en retard, même s’il ne s'agissait que d’un rendez-vous préliminaire afin de pouvoir discuter de ses attentes, et ce sur quoi je l’accompagnerais en tant qu’avocate, j’avais tout de même une image professionnelle à tenir. Ce n’était pas le moment de me perdre dans mes pensées, et de ressasser le passé. Cela ne changerait de toute façon pas le présent de repenser à La Terre des Lions, autant mettre ça de côté pour le moment.

- Mademoiselle Shumbakadzi ? Shania King enchantée, dis-je en lui tendant ma main avec un sourire. Nous serons plus à l’aise pour discuter dans mon bureau, venez c’est par ici, ajoutais-je en lui désignant la direction.

Je penserais à Simba et à comment le retrouver plus tard, pour l’instant j’avais du travail et je ne pouvais pas me permettre d’avoir l’esprit ailleurs.  

   

Kiara n'a jamais aimé la politique, et encore moins tout ce qui concerne le juridique. Quand elle était encore jeune lionceau, elle n'aspirait qu'à une chose : la liberté. Alors le fait de devoir hériter de tout un royaume et des devoirs qui incombent à toute princesse et future reine n'avait rien de féérique à ses yeux, y voyant là simplement des chaînes l'empêchant de se mouvoir comme elle le désirait.

Aujourd'hui, la Terre des Lions n'est plus, et Kiara n'est plus qu'une simple humaine. Son statut de royauté s'est envolé au même titre que ses griffes et sa fourrure. Si cela lui permet de respirer, elle n'en demeure pas moins heurtée à une paroi où qu'elle aille. En l'occurrence : le juridique. Son statut d'influenceuse a beau lui rapporter des millions d'abonnés et des milliers d'euros par mois, cela attire également son lot de détracteurs. Mais là encore, on ne peut pas plaire à tout le monde, et dans son univers d'origine déjà, elle s'était faite des ennemis. Zira, pour ne mentionner qu'elle. Que les choses ici soient plus ou moins similaires ne l'étonnent donc guère. Le poids est lourd sur les têtes couronnées, après tout. Que la couronne soit littérale ou métaphorique.

Le monde des médias ayant son lot de règlements et de lois en tout genre, Kiara a tout naturellement fait appel au service d'une avocate spécialisée, histoire de ne pas s'attirer des ennuis, mais également histoire de se débarrasser d'une bonne épine dans le pieds, ne sachant nullement comment procéder dans ce domaine-là.

C'est la raison pour laquelle elle se trouvait là, en plein bureau du maître King. Si elle s'est tournée vers une femme plutôt qu'un homme, c'est bien pour des raisons féministes. Mais au-delà de ça, elle sait également que seule une femme peut comprendre ses attentes et ses doutes, et qu'un homme, aussi bien intentionné soit-il, a souvent des préjugés que Kiara n'apprécie d'aucune façon.

Enchanté de faire votre connaissance. Serrant la main de l'avocate, elle lui rend son sourire avant de la suivre dans son bureau, où elle prend place sur un des sièges. Désormais enceinte de quelques mois, il est souvent difficile de rester debout trop longtemps, bien qu'elle le porte bien. Elle en profite pour sortir un classeur de son sac à main et d'en sortir trois feuilles de papiers recto-verso et agrafées. J'ai rempli le dossier que vous m'aviez demandé, dit-elle avant de tendre les dits papiers à Shania. Elle a passé de nombreuses heures à lire et relire le contenu du dossier, afin de vraiment connaître et comprendre les termes établis, mais également afin de ne pas faire d'erreur de logistique. L'administration est une corvée inlassable qu'elle préfère encore éviter d'empirer en manquant quoique ce soit.

Entre temps, une des secrétaires tape à la porte avant d'y passer la tête discrètement. Maître King, vous et votre cliente désirez-vous quelque chose à boire ? Kiara se contente de demander un simple verre d'eau, ayant banni toute boisson caféinée de son placard depuis l'annonce de sa grossesse. La secrétaire hoche la tête avant de repartir.

Merci encore du temps que vous m'accordez. Kiara ne sait que trop bien à quel point les avocats ont un emploi du temps chargé, et que Shania ait accepté de la voir entre plusieurs rendez-vous compte énormément aux yeux de l'ancienne lionne. En ce qui concerne le juridique, je vous avoue ne pas m'y connaître énormément. Mon père avait un poste haut placé par le passé, qu'il m'incombait d'hériter. Mais comme vous pouvez le constater, j'ai décidé d'emprunter une autre voie. Elle laisse échapper un petit rire léger, bien qu'une pointe de douleur vient la toucher en plein coeur en pensant à ses parents, Simba et Nala, et à ses amis, Timon et Pumba, qu'elle n'a pas encore été en mesure de retrouver. Heureusement pour elle, le retour inattendu et impromptu de Kovu dans sa vie a de quoi lui redonner le sourire.

Si j'ai fait appel à vos services, c'est avant tout pour que vous m'aidiez à ne pas faire d'erreurs de jugements ou d'infractions aux lois dans le futur. Quand j'ai commencé dans le métier, j'avoue m'être lancée quelque peu à tête baissée sans vraiment y réfléchir. Comme tout adolescent de son âge, Siera, l'ancienne identité maudite de Kiara, s'était simplement contentée de se filmer sur son téléphone et de tout transférer sur internet. L'adolescente de l'époque ne s'attendait probablement pas à être propulsée sur les devants de la scène aussi rapidement. Raison pour laquelle la jeune adulte doit s'assurer un futur doré, mais également dans les règles.
   

C’était étrange comme les paroles de Kiara faisaient écho avec ma vie passée, il est vrai que tout le monde sur La Terre des Lions n’avait plus ou moins attendu qu’une chose : voir Simba prendre la place qui lui était due depuis la naissance en tant que seul héritier. Nous n’avions jamais réellement discuté une fois Simba née de la possibilité d’avoir un autre enfant avec Mufasa, j’avais toujours supposé qu’étant donné la dégradation de leurs relations avec Scar, justement à cause du poids de la couronne faisait qu’il n’avait pas souhaité imposer une telle chose à Simba et à un autre futur lionceau. Pourtant, j’estimais que la faute n’était pas sienne, Mufasa avait toujours aimé son frère, il n’y pouvait rien si ce dernier s’était enfoncé dans sa rancœur et sa jalousie. Cependant avec le recul que j’avais aujourd’hui, Simba était-il réellement intéressé à l’idée de devenir roi ? Tant de choses s’étaient passées depuis, et je n’avais pas encore réussi à le retrouver. Et puis, notre univers n’existait plus, alors ces questions avaient-elles encore un sens ?

- Le problème avec les réseaux sociaux, c’est que la réglementation est très opaque, et vous n’êtes pas la seule à vous être jeté dedans tête la première, sans nécessairement réfléchir. De plus, les lois sont relativement nouvelles et pas nécessairement très bien connues, il y a encore beaucoup de progrès à faire de ce côté là, ne serait-ce que pour ce qui a trait à la protection de la vie privée.

C’était à double tranchant, certains se sentaient plus “proche” de leurs idoles grâce aux réseaux sociaux, mais la haine y était doublement plus présente. La nature humaine était ainsi faite, et je l’expérimentais au quotidien dans les dossiers que je traitais. Cependant, les plaintes contre harcèlement avaient toujours la fâcheuse tendance à être traitée par dessus la jambe, je pouvais comprendre que face à des criminels le cyber harcèlement ne soit pas la priorité mais tout de même, et lorsque c’était des femmes qui portaient plaintes n’en parlons même pas, les réponses étaient souvent qu’elles auraient dû y penser avant de se lancer sur internet, ou qu’il fallait accepter la critique. Sauf que ce n’était pas des “critiques” quand il y avait des menaces d’une extrême violence.

- D’une manière générale, si vous êtes confronté à de la violence ou du harcèlement en ligne, il faudra m’en faire part afin que nous puissions monter un dossier de plainte, j’ai l’habitude de traiter avec la police. Pour tout partenariat rémunéré, les décisions seront prises à deux. Je m’occupe de tout ce qui est aspect juridique et des recherches concernant les entreprises afin d’être certaine qu’elles ne posent pas de problème pour votre carrière, je ne dirais jamais non sans vous faire parvenir au préalable mes raisons.

Kiara était ma cliente, c’était ses intérêts que je défendais aussi, fallait-il qu’elle comprenne les raisons derrière un refus quand il y en avait un. Evidemment, c’était elle qui aurait le dernier mot, de mon côté je ne pouvais qu’enquêter sur les marques et entreprises qui la contactaient afin d’être certaine qu’elles disposent d’uns service juridique fiable avec lequel entrer en contact, pour établir un contrat en bon et dû forme, si je comprenais qu’elles souhaitaient se protéger il en allait de même pour Kiara, car c’était sa réputation sur laquelle la collaboration reposait, il était hors de question qu’une marque profite du travail de ma cliente et que derrière cette dernière soit encore en train de courir pour être rémunérée par exemple. En tant qu'avocate, il était de mon devoir d’assurer ses arrières et de lui éviter de longues batailles juridiques.

- Je tiens également à signaler qu’à l’heure où je vous parle, rien n’est gravé dans le marbre en termes de réglementations, ce que je dis aujourd’hui peut parfaitement s’avérer obsolète dans 6 mois ou un an. Cependant, je mettrais un point d’honneur à discuter de tout cela en personne avec vous. En tant qu'avocate, c'est mon devoir de toujours être parfaitement au courant des dernières lois en vigueur et de vous en faire part de la manière la plus concise possible. Généralement, les influenceurs ne sont pas laissés dans le noir quand de nouvelles mesures sont prises, un dépliant leur est envoyé pour les en informer, mais comme ça peut sembler un peu obscure, je suis là pour vous guider.

J’avais l’habitude de vulgariser tout le jargon légal à mes clients, parce que des fois on avait beau y mettre toute la bonne volonté du monde pour que cela paraisse compréhensible, c’était rarement des spécialistes qui se chargeaient de ces prospectus. Plutôt des chargés de communication que l’on laissait joyeusement patauger parce qu' après tout le contact avec les influenceurs faisait partie de leur métier.

- N’hésitez pas si vous avez des questions ou s’il y a des choses sur lesquelles vous souhaitez plus de précisions. Je sais ce que c’est que d’occuper une position assez élevée et c’est tout à votre honneur de vouloir vous en émanciper, d’autant plus que l’influence n’est pas un métier facile contrairement à ce que beaucoup de gens pensent.

Parce que les résultats sur les réseaux sociaux n’étaient que la partie émergée de l’iceberg, le travail fourni derrière était invisible, alors pour beaucoup et particulièrement les anciennes générations c’était un métier de “fainéant”. Mais avec tout ce qu’il fallait faire et toutes les réglementations autour, j’aimerais bien les voir essayer tiens.