L'homme de mes rêves [PV Sand Mann]

Comme il est agréable de rentrer après une journée de travail par un temps aussi radieux ! Je n'ai même pas pris le bus. Le bus, c'est pour quand il pleut ou quand le temps est maussade. Mais quand il y a du soleil et que les fleurs semblent s'en gorger, il ne faut pas se priver de ces moments et en profiter autant qu'on peut. Moi, c'est ce que je fais. Je me promène, je ne rentre pas directement, je me donne le droit de ne pas avoir envie de passer mon temps à faire ce que les autres ont envie de faire. Après tout, on n'a qu'une vie alors autant la passer à s'amuser et à profiter. Je sais que tout le monde ne pense pas comme moi, mais c'est comme ça que je conçois la vie.

Quand j'arrive à la maison, j'aperçois mon voisin. Il est vraiment gentil, ce voisin. Je le connais depuis longtemps maintenant et nous sommes amis. Je le salue régulièrement quand je rentre et qu'il est là. C’est normal puisqu'il est sympa. En plus, aujourd'hui, j'ai un tas de choses à lui raconter. Pas ce que j'ai fait dans la journée. Là, je pourrais lui raconter tous les jours la même chose. Mais j'ai rêvé de lui cette nuit. J'aime bien les rêves. On peut y faire plein de choses qu'on ne ferait pas en réalité. Et comme je m'en souviens très bien, je peux les raconter à mes amis, surtout quand ils apparaissent dedans.

« Coucou, tu vas bien ? Quelle belle journée, n'est-ce pas ? Ça donne envie de courir dans les champs et de faire la fête. Je suis rentrée à pied, pour une fois. C'est tellement agréable de se promener quand il fait beau comme ça. Tu sais que j'ai pensé à toi ? J'ai rêvé de toi cette nuit. Tu imagines si on pouvait entrer dans les rêves des gens et faire ce qu'on veut ? Cette nuit, tu n'étais pas vraiment là, mais je me demande ce que tu ferais si tu venais vraiment dans mon rêve. »

Je ris. Ça lui ferait peut-être du bien de se promener dans les rêves des autres. Je ne sais pas d'où me vient cette idée mais je trouve ça très amusant. En tout cas, pour lui qui est tellement triste tout le temps, je me dis que ça pourrait être une bonne idée de se balader dans des rêves avec plein de jolies choses dedans. Ça lui remonterait peut-être le moral. J’aimerais beaucoup trouver un moyen pour le faire sourire. Je n'aime pas voir les gens que j'apprécie tristes. Et je tiens beaucoup à lui. Il a toujours été là pour moi depuis aussi longtemps que je me souvienne. Il a même déjà accepté d'arroser mes plantes et de s'occuper de mon chat un jour où j'étais coincée parce que je devais amener dans un endroit spécialisé un petit animal qui s'était perdu dans le Jardin Botanique.

« Est-ce que tu vas bien, toi ? »

Mes pouvoirs sont de retour.

Cette idée devrait me réjouir, mais en réalité, avec le retour de cette existence immortelle me vient aussi, malheureusement, le fait de ne plus éprouver de sentiments légers. Je n'ai personne à retrouver désespérément, personne après de qui me venger, aucune passion ne m'anime en cet instant. Encore que ce ne soit pas tout à fait vrai. Tandis que je me glisse dans mon royaume des rêves et que je constate qu'il a été réduit en poussière et que j'ai tout à reconstruire, je pense à une femme, unique.

Immédiatement, ce qu'elle m'inspire modifie cet endroit. Ce désert de cendres éternelles se retrouve parcouru de racines profondes qui se mettent à craquer à force de croissance accélérée. Du craquement se met à jaillir un arbre, puis un autre, un peu plus loin. Un bois, une forêt, un ruisseau, un pré où déjà quelques biches viennent paître. Jamais, de mon existence, je n'ai créé un endroit aussi joli en aussi peu de temps, comme si ma créativité avait été muselée trop longtemps.

C'est alors que je sens une main sur mon épaule, douce, chaude, fraîche, tout à la fois. Une main amicale, juste amicale. Je me raidis d'une manière que seuls les rêves sont capables. Quand je me retourne, elle est là, à me regarder.

“Wendy ?”

Comment est-elle venue ici ? Elle sourit d'un air rêveur et écarte les bras d'où jaillit un essaim de papillons colorés. Comment fait-elle cela ? Si la plupart des rêveurs ont la possibilité de créer leur propre rêve, il faut que je sois là, que je les soutienne, que j'assure les échafaudages de leur songe... Mais pour elle, non. Elle se met à rire, à courir, et à créer plus de papillons.

Je souris. Je devrais la laisser profiter, et recréer mon propre royaume en commençant par Le Songe, mon château. Au lieu de ça, je lui cours après, l'attrape par la main et rends ce paysage naturel quelque chose de nocturne. Les étoiles scintillent, la lune est immense, et quand j'écarte les bras, c'est une nuée de papillons pâles de nuit qui se met à nous entourer et à nous voler autour. Contrairement à ce que je pensais, Wendy contre-attaque avec ses propres papillons de jours. Elle est douée, réellement douée. Je ne sais pas si c'est parce qu'elle sait créer ou parce que je n'ai moi-même pas récupéré l'entièreté de ma maîtrise, mais nous faisons jeu égal dans ce monde de création. Finalement, au détour d'un geste, nos mains se collent, paume contre paume, et un papillon en ressort, unique : un côté lumineux, coloré, avec une antenne fine, et un côté pelucheux et pâle avec des motifs en forme de lune. Elle éclate de rire et s'allonge dans l'herbe où je la suis.

Je construirai mon royaume demain soir. Cela peut attendre.


La journée qui suit est curieusement en résonance avec le rêve que j'ai... que nous avons créé. Naturellement, je guette l'arrivée de ma voisine. Que fait-elle ? Elle devrait être rentrée à l'heure qu'il est. Dire que je pourrais me matérialiser tout près d'elle d'un claquement de doigt... Bon, il faut que je m'occupe l'esprit. Je tends le bras vers Matthew pour qu'il grimpe dessus. Il ouvre le bec et me fait un bruit étrange, à mi-chemin entre un croassement et un soupir purement humain.

J'ai beau attendre de pied ferme Wendy, ma voisine me fait sursauter au moment où elle me parle. C'est plutôt bien, en réalité, ainsi, je n'aurais pas à faire semblant que je n'étais pas en train de l'attendre. Je lui fais un sourire de circonstances qui tombe immédiatement. Alors, elle s'en souvient ? Voilà qui est fâcheux. Théoriquement, je n'aurais pas le droit de la laisser ainsi, maintenant qu'elle connaît l'envers du décor. Je suppose qu'étant donné les circonstances, je peux faire une exception pour elle.

"Si je venais réellement dans ton rêve... ?" C'est une question étrange à laquelle je peux répondre honnêtement. "Je m'assurerai que tu dors bien, naturellement, et je sonderai tes traumatismes pour pouvoir t'aider à les combattre."

En réalité, on ne peut pas faire tout ce qu'on veut, dans un rêve. Cela répond à une logique subtile liée à la personne qui est en train de dormir.

"Et toi, que ferais-tu si tu me rejoignais dans un rêve ?"

Une volée de papillons tous plus vrais que nature, j'imagine. Matthew s'ébouriffe et tend la tête vers Wendy pour lui demander une caresse.

"Je vais bien. Et toi ? Comment vas-tu ? Tu as bien dormi, j'espère que je ne t'ai pas trop dérangé."

Je dis cela sur le ton de la plaisanterie, mais j'espère sincèrement ne pas l'avoir perturbée.

Je suis tellement contente de le vois, c’est une parfaite fin de journée si je veux passer un moment avec lui. Sand, il est vraiment gentil. Il est toujours là quand je rentre et il m’accueille avec son petit sourire gentil. J’ai vraiment de la chance d’avoir un voisin sympa. C’est plus devenu un ami qu’un simple voisin. Le problème d’être mon ami, c’est qu’il faut en passer avec ma façon de raconter ma vie, y-compris des choses qui n’ont rien à voir comme par exemple, mes rêves. J’adore rêver. C’est tellement magique, on peut faire ce qu’on veut dans nos rêves.

C’est étrange qu’il ne me demande pas ce qu’on y faisait. Bon, il n’y a pas grand-chose à dire. On a créé des papillons ensemble. Ils étaient beaux, ces papillons. Pourquoi des papillons, je n’en sais rien. Mon cerveau fait des trucs bizarres des fois. Mais c’est rigolo. En tout cas, ça semble le faire réfléchir, ce que je lui dis, que je me demande ce qu’il ferait dans mes rêves. C’est tellement curieux, l’idée que quelqu’un vienne dans mes rêves. Mais ce serait drôle, je pense. Il voudrait m’aider à combattre ce qui fait mal au fond de moi. Il est trop mignon. Je suis toute attendrie.

« Mais t’es trop chou. Je pensais pas qu’on pourrait faire ce genre de choses dans un rêve. Mais j’ai pas trop de traumatismes, tu sais. Les gens, ils sont gentils avec moi. »

Il me retourne la question. Ce que je ferais… je réfléchis. Ce n’est pas une question facile, je m’en rends compte maintenant que c’est mon tour d’y répondre. Mais je sais quand-même ce que je voudrais pour lui. J’ai toujours envie que mes amis soient heureux. C’est l’essentiel quand-même, le bonheur de ses proches, il faut le reconnaître. Matthew vient me demander un câlin et je ne résiste pas, je le cajole. Il est si mignon. Je l’adore.

« Alors je crois que ça dépendrait de ce à quoi tu rêves, mais j’essaierai de le décorer pour que ça soit joli. Peut-être que je volerai avec toi. Tu as déjà rêvé que tu voles ? Voler au-dessus des montagnes et des rivières, c’est si beau ! »

Il est vraiment tout doux avec moi. Il me demande comment je vais. Je ris quand il demande s’il ne m’a pas dérangée, comme si c’était vraiment lui qui était dans mon rêve et pas juste un songe que mon esprit a imaginé. Comme il est spirituel. Il n’y a pas à dire, je l’aime beaucoup, Sand. Il est vraiment parfait pour me tenir compagnie. Il est aussi particulier que je le suis moi-même et il ne se moque pas de moi quand je souris à la vie et que je lui parle de fleurs et de papillons. C’est un ami fantastique.

« Oh non, tu ne m’as pas dérangée du tout. Au contraire, tu as décoré le rêve avec moi. On a mis des papillons partout, c’était vraiment magnifique. La prochaine fois, on peindra peut-être des arcs-en-ciel, qu’en penses-tu ? En tout cas, je vais forcément bien. Il fait beau, il fait bon, et je suis avec toi. Comment ça pourrait aller mieux que ça, hein ? »

Comment regarder cette femme à présent que je ne suis plus... qui j'étais ? Elle est là, à penser qu'elle parle à quelqu'un qu'elle connaît, à son voisin, celui qui a partagé avec elle des souvenirs d'enfance qui n'ont jamais eu lieu, qui lui a raconté la maladie d'une mère qui n'a jamais existé, le départ d'un père qui n'a jamais été présent ? Même mon prénom est une fraude, elle me vient de Sandy, et a été débité en Sand pour éviter la confusion garçon/fille. Je déglutis, parce que s'il y a bien une personne que je ne veux pas décevoir ou déranger avec cette existence, c'est bien elle. J'aimerais être cette personne qu'elle voit en moi, ce voisin sympa, cet ami fidèle.

Moi ? Chou ? J'ai un sourire assez naturel qui me vient. C'est comme caresser le grand méchant loup et de dire que c'est un bon toutou. Cela n'a aucun sens, mais ça en a pour elle, alors ça en a pour moi... Je suppose.

Je n'en sais rien, je me sens perdu, alors je profite de ce petit instant de réalité avec elle. Comme si elle avait déclenché quelque chose en moi, je deviens professionnel.

"On peut faire énormément de choses au travers des rêves. Tu as entendu parler de cette femme qui s'est réveillée un matin en ayant soudainement appris une nouvelle langue ? Ou ces innombrables histoires de personnes qui ont trouvé un sens à leur vie, des réponses à leurs questions, au travers du prisme du rêve ?"

C'est cela... C'est ce que je ferai à présent. Je traquerai les cauchemars des rêves des gens.

"Je suis content qu'ils soient gentils avec toi."

J'ai un sourire qui cache une profonde envie de compromettre l'intégrité physique de qui que ce soit qui nuirait à sa bonne humeur.

"Tu as été décoratrice dans une autre vie ? On dirait presque que c'est une seconde nature chez toi. Peut-être que tu devrais passer à mon cabinet, il est un brin sobre et j'aurais aimé l'agrémenter de plantes, les plus belles possibles. J'évite de déclencher des frayeurs ou de tirer la gâchette de phobies, mais je pense que j'ai un peu trop dénudé la déco."

J'hoche la tête.

"Oui, j'ai déjà rêvé de vol. C'est un rêve important, plein de significations différentes."

Mon regard devient plus... lumineux. Alors elle s'en souvient dans les moindres détails ?

"Est-ce que tu souhaites..." Je m'arrête de parler soudainement. Je ne sais plus faire l'homme normal. Déjà mes vêtements sont devenus sombres et je ne porte plus que du noir à présent. Je déglutis, entrant dans un nouveau monde dans lequel je ne maîtrise absolument rien. "... Aller te balader en forêt, avec moi ?"

Ces derniers mots ont été prononcés avec autant d'aplomb qu'un papillon de nuit se posant sur la trompe d'un éléphant.

Je ne suis pas du genre à regarder les actualités, ou même les émissions sociétales, et même pas scientifiques. En fait, je préfère largement me perdre dans la forêt que de me poser devant la télé, je trouve que c’est un objet tellement inutile et insipide. Je préfère ce qu’on trouve dehors, je préfère la nature, le concret, le contact avec le monde. Du coup, c’est vrai que je n’ai pas vraiment les références sur ce genre d’anecdotes. Mais s’il le dit, je le crois. Il ne me mentirait pas et puis, pourquoi mentir sur de telles anecdotes, ce serait un peu idiot.

« Je t’avoue que je ne sais pas tout ça. Je passe mon temps à élever des fleurs et à respirer l’air de la mer ou de la forêt. Je devrais peut-être être plus curieuse, mais cela dit, j’aime quand c’est toi qui me raconte. Tu me racontes encore des histoire de rêve ? »

Je lui fait les yeux doux. Je suis sûre qu’il ne résistera pas à tout me raconter. En plus, il aime bien me raconter des choses. J’ai l’impression qu’on se comprends dans un certain sens. On n’a pas forcément les mêmes références, on ne connait pas forcément les mêmes choses, mais on sait les partager. Et j’adore quand il me les partage. Il semble savoir tellement de choses, il m’impressionne. J’ouvre des yeux brillants en l’écoutant me raconter tout ce qu’il connait à ce sujet. Il est vraiment savant. Quand il a terminé, on parle des gens en général, et je lui révèle que tout le monde est gentil avec moi. En tout cas, je n’ai pas constaté de problèmes.

« C’est plus facile d’inspirer ce genre de sentiments quand on sourit à la vie, je pense. Il faut allumer le soleil en nous », dit-je en tournoyant et en riant.

Je rit encore plus quand il me parle d’être une décoratrice. Je n’y ai jamais songé. Pourtant, il n’a pas tort, j’ai l’impression que j’ai participé à la création d’une grande œuvre. Mais je ne sais pas laquelle ni si ce n’est qu’un rêve ou la réalité. Mais s’il a besoin de plantes d’intérieur, je suis sûre que je peux lui en trouver. J’ai plein d’idées pour agrémenter une pièce de façon neutre, enfin le plus possible. Je ne veux pas créer de phobie à qui que ce soit.

« Je ne me souviens pas l’avoir été, mais… peut-être. On pourrait regarder au Jardin ce qui serait le mieux, non ? Tu voudrais ? »

Il me dit qu’il déjà rêvé de voler et que ce rêve est plein de sens. Je me demande ce que ça peut bien vouloir dire. Je ne sais pas interpréter les rêves. Mais je n’ai pas le temps d’y réfléchir beaucoup. Je suis facilement distraite et quand il me parle d’une promenade, tout s’efface. Une promenade ?! Dans la forêt ?! Juste avec lui ?! Ce serait une idée tellement merveilleuse que je suis toute enthousiaste et pleine d’énergie, rien qu’à y penser. J’ai envie d’aller me promener avec lui, de courir dans la forêt, de profiter dans les bois avec lui.

« Ho oui ! J’aimerais tellement ! Tu aimes courir dans l’herbe, j’aime totalement ça. Et s’allonger dans l’herbe et regarder le ciel à-travers la cime des arbres, tu aimerais ? On pourrait se tenir la main et imaginer des formes dans les nuages. J’aime beaucoup faire cela. »

Cela me fait vraiment du bien de parler avec elle. Je me laisse même aller à un sourire. Ceux-là sont rares, et sont devenus légendaires avec mon éveil... Mais avec elle, cela vient vite, parce que je commence à en percevoir l'utilité. Je lui raconte les anecdotes sur les rêves que j'ai pu voir, et je ne suis pas surpris quand elle me dit ne jamais en avoir entendu parler. Je réfléchis à quelque chose de nouveau que je pourrais lui dire, en évitant soigneusement de briser le secret médical.

"Il y a eu... cette jeune fille... Elle était amoureuse d'un garçon, mais se demandait si elle devait réellement aller avec lui ou non. Elle prenait tout ce qu'elle percevait comme des signes pour lui dire qu'elle devait mettre un terme à cette relation avant même de l'avoir entamée. Un matin, elle s'est réveillée avec deux particularités : le fait d'avoir rêvé de ce garçon, de l'avoir défendu, bec et ongle ; et le visage recouvert de sang, une blessure dans le sourcil, une blessure réelle, comme faite avec un objet tranchant. La seule personne à l'avoir cru quand on lui a demandé ce qui lui était arrivé... était ce garçon. Elle a décidé d'arrêter d'essayer d'interpréter les signes pour voir les choses pour ce qu'elles sont. Personne n'a jamais su ce qu'il lui était arrivé pendant la nuit."

Enfin... "personne"... Disons personne de sensé. Pour ma part, je sais exactement ce qui s'est passé.

"Pour ma part, je pense qu'elle s'est arraché d'une partie de ce qui la retenait de juste... profiter de la vie. Sauf que cela s'est traduit par une blessure physique."

Jamais je n'avais eu un cas aussi violent auparavant.

J'approuve ce qu'elle me dit. Sourire à la vie est un concept tellement lointain, pour moi. Cela ne veut presque rien dire. La Vie n'est pas. Je connais seulement La Mort, c'est ma grande sœur. De même qu'allumer le soleil en nous n'est pas une chose qui m'est familière. D'ordinaire, les gens ne me voient pas, ils ne me remarquent pas.

"Je suis plutôt du genre à éclairer avec la lune."

Le côté secret, sombre, caché et mystérieux. J'ai très envie de lui demander ce qu'elle peut bien me trouver, pourquoi reste-t-elle avec moi ? Mais je pense qu'en amitié, ce sont des choses qui ne se demandent pas. D'autres lui souriraient plus que moi et lui rendraient sa bonne humeur. Mais je n'ai pas le temps de me poser sur cette pensée qu'elle me propose d'aller acheter des plantes pour mon cabinet.

"Rien ne presse..."

D'autant que j'ai autre chose à lui demander, quelque chose qui ne se demande pas, ou du moins pas ainsi. Mon idée d'aller me balader dans la forêt semble la transporter de joie. Je reste interdit devant tant d'exubérance, ne sachant pas comment réagir pendant un instant. Finalement, je délace mes chaussures et les retire avant de les lancer vers ma maison.

"Déjà, nous allons commencer par être pieds nus."

S'il y a bien quelque chose que je déteste depuis que je me suis éveillé, ce sont les chaussures. Je déteste le café aussi... Tout ce qui peut nuire au sommeil en fait. Les chaussures sont la première chose que l'on retire quand on doit aller se coucher. Je la laisse s'exécuter, puis tend mon bras pour qu'elle s'y accroche. C'est très étrange de voir du tissu tout coloré venir trancher avec mon manteau sombre.

"Ensuite, oui, nous allons courir, et s'allonger, et regarder les nuages." je commence à nous faire marcher, d'un bon pas. "Mais d'abord, j'aimerais te poser une question. As-tu déjà envisagé que ton existence entière ne puisse être... pas réelle ? Comme un rêve, d'une certaine manière. Tu n'as jamais rêvé d'être plus ?"

Non pas d'avoir plus, comme la plupart des gens se demandent, mais d'être, se changer soi-même, en un sens. Je baisse le visage pour regarder mes pieds évoluer directement, plante contre terre.

J'adore que Sand me raconte des histoires. Il est doué et il est passionnant. Étonnamment, je suis fan à chaque fois, alors que ses histoires ne se terminent pas forcément bien. Mais je sais que dans la vie, les histoires ne se terminent pas toujours bien et cela fait partie d'une existence normale. Si on n'est pas capable d'entendre de mauvaises nouvelles ou des histoires tristes, c'est que l'on tourne le dos à la vie. Et je n'ai personnellement pas l'intention de le faire. Je pense que ce n'est pas complètement idiot de penser que l'on peut apprendre des choses au travers des rêves, mais ça a quelque chose de terrifiant de penser que ça puisse blesser à ce point.

Je ne dis pas que l'histoire qu’il me raconte est fausse, quoi que je ne sois pas sûre qu'il s’agisse d'une histoire vécue ou d'une métaphore, mais cela ne doit pas être facile de vivre avec la possibilité d'une souffrance dont on n'explique pas exactement la provenance. J'espère au moins que cette fille se souvenait assez de son rêve pour pouvoir comprendre d'où sa douleur venait. Ça doit être terrible de souffrir sans savoir d'où ça vient. Je n'aimerais pas que ça m'arrive. Mais à la réflexion, si les rêves peuvent vraiment aider, ça ne me paraît pas aberrant de s'en servir.

« Et tu crois que c'est complètement sans danger de faire ce genre de choses ? Je me demande si ce n'est pas le genre de choses pour lesquelles il vaut mieux avoir quelqu'un qui sait ce qu'il fait avec soi. N’est-ce pas un peu ce que tu fais dans ton travail d'hypnotiseur ? Ça doit être plus sûr lorsque tu diriges les choses. Si je devais faire ce genre de choses, je voudrais que ce soit avec toi. »

Ça ne m'a pas échappé que Sand est quelqu'un de plus tôt sombre. Même si je ne trouve pas ça particulièrement réjouissant qu'il ait une vision aussi noire des choses, je me refuse à le lui reprocher. Il a le droit de voir la vie exactement comme il le souhaite. Mais j'ai quand-même envie de lui faire savoir que je suis de son côté et qu'il peut compter sur moi pour le soutenir et pour être là, même si la vie n'est pas facile. Surtout pour lui. Il est dans ma nature de venir en aide aux gens mais pour une raison qui m'échappe, c'est encore avec lui que je le fais le mieux. Peut-être que c'est parce que c'est mon plus vieil ami, pour autant que je me souvienne.

« Mais c'est la lumière de la lune qui rassure les enfants chaque soir avant de s'endormir. Il n'y a pas de mauvaise lumière, il faut simplement accepter notre unique façon de briller. Chacun a la sienne, tu sais. Il faut juste accepter et donner ce qu'on est capable de donner. »

Il ne semble pas pressé de préparer ses aménagements et je ne suis pas forcément pressée de le faire, pas aujourd'hui. Il veut se promener avec moi et je veux me promener avec lui. À lui, j'ose exposer mes rêves, mes envies. A lui, je peux dire ce que je souhaite, quel genre de promenade j'ai envie de faire et il est d'accord. C'est pour ça que c'est une de mes personne préférées dans le monde. Il est toujours d'accord, même si ce que je fais semble de la folie aux autres. Pourtant, je suis convaincue que les autres n'ont pas tort et que si cela leur semble fou c'est que c'est un peu fou, mais pas assez pour lui faire peur. Il se déchausse, je ris et je fais pareil tout en l'écoutant me promettre que l'on fera tout ce que je lui ai demandé. Il me gâte beaucoup trop.

Néanmoins, alors que je ris et que je l’imite, je m'interromps dans mon geste en l'entendant me poser une question aussi inattendue que bizarre. Vivre dans un rêve, être plus que ce que je suis, qu'est-ce que ça veut dire ? Je ne sais pas qui il voudrait que je sois, mais je n'ai pas l'impression que ce soit une façon de me dire que je ne lui suffis pas. Il y a autre chose derrière et je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il essaie de me dire. Mais je ne suis pas fâchée contre lui, je suis perplexe et un peu curieuse. Je ne comprends pas bien de quoi il parle, mais j'ai bien l'intention d'essayer de comprendre et j'espère qu'il m'y aidera.

« Etre plus que ce que je suis ? Qu'est-ce que je devrais être ? Tu as l'air de penser que je suis quelqu'un de particulier, je suis qui à ton avis ? Et pourquoi veux-tu que je m'en souvienne ? C'est quelqu'un qui compte pour toi ? »