Le Docteur s'était laissé convaincre. Évidemment qu'il pouvait gérer une carrière artistique musicale, en plus d'un job de médecin généraliste couplé à un autre de chercheur en laboratoire. Il oubliait parfois qu'il n'était plus un hologramme, que les journées n'avaient que 24 heures, et qu’il devait s'arroger du temps pour dormir et se restaurer. Mais en essayant de mettre en place un emploi du temps précis, les concerts pourraient se retrouver classés dans la case des journées de hobby, à condition d’en rester à un mi-temps pour ce qui était de chacun de ces deux emplois.

C’était donc aux congés et aux week-ends qu'il réservait ses prestations de ténors talentueux. Autrement, il passait la matinée à son cabinet et l'après-midi au laboratoire de Miss Powell. Pour le moment, cette organisation de sa vie lui convenait, dans la mesure où il était capable de travailler sa voix à un moment dans la journée. C'était aussi nouveau dans la conception du Docteur. La simulation holographique mettait parfaitement en place le mécanisme qui lui permettait de chanter, mais pas ses différences les plus évidentes. Il devait donc travailler pour éviter de perdre cette voix avant le spectacle.

Il avait demandé à l'agent qui s'occupait de lui avant de se réveiller s'il accepterait de prendre ses fonctions, en acceptant la limite de ses disponibilités actuelles. Comme il représentait apparemment une poule aux œufs d'or, son ancien agent n'avait pas hésité une seconde et il fallait reconnaître qu'il s'adaptait bien à son nouvel emploi du temps. Il était donc effectivement compétent. Le Docteur n'avait à se soucier de rien d'autre que de sa performance et il touchait des sommes assez astronomiques. Ça lui faisait une belle compensation.

Son agent s'occupait également de son image et de ses liens avec son public. Il l'avait informé qu'une petite fille aveugle et muette allait assister au spectacle et d'après lui, passer un peu de temps avec cette fillette serait bon pour l'image du chanteur. Doux et bienveillant, avec une certaine considération pour les jeunes enfants, il n'avait pas hésité à accepter. La fillette arriva avec sa protectrice, qu'il reconnut comme l'une des sœurs de celle qui l'avait amené à chanter à nouveau. Il ferait donc particulièrement attention à cette enfant. Il s'accroupit à sa hauteur et posa une main sur son épaule.

« Bonjour, alors, tu es venu m'écouter chanter. Est-ce que le spectacle t'a plu ? »

La petite était touchante. Il voyait bien qu'elle était un peu intimidée d'être ainsi mise en avant. Mais elle ne risquait rien et elle s'en rendit bien compte. Elle parvint quand même à lui dire qu'elle avait aimé le spectacle et qu'elle lui trouvait du talent. Cela n'aurait pas dû avoir beaucoup d'importance puisqu'il s'agissait seulement d'une petite fille, mais le Docteur était tout-de-même touché par sa confidence. Après tout, tout compliment du public était bon à prendre et elle était tout-de-même aux côtés d'une muse. Elle ne devait donc pas être si facile que ça à impressionner.

De son point de vue, c'était une bonne chose que le Docteur n'ait pas arrêté complètement de chanter. Au fond, il était assez d'accord avec elle. Il n'avait jamais regretté d'avoir continué la musique et les spectacles sur son temps libre. Bien entendu, cela lui coûtait du temps et de l'énergie et même s'il était payé pour ça, il ne le faisait pas pour la rémunération. Heureusement qu'il y avait donc la passion pour l'aider lorsque la pression se faisait trop sentir. Il aima le fait qu'elle lui demande ce que lui-même avait pensé de sa propre prestation. Il avait toujours estimé que le plus important était de se satisfaire soi-même et en la circonstance, cela semblait être le plus important pour la jeune fille aussi.

« Eh bien, je n'en suis pas fâché. J'aurais peut-être pu travailler un peu plus ma voix, mais je crois que je n'ai pas fait de fausses notes et que l'émotion que j'ai transmise ne manquait pas de richesse. J'espère que tout le monde a pris autant de plaisir que toi à cette soirée. »

Toutefois, ses réflexes de médecins étaient présents et il ne pouvait s'empêcher de se demander comment il se faisait qu'elle en soit arrivé à ce stade en ayant perdu à la fois la parole et la vue. Il réfléchissait à cela alors qu'elle se remit à pianoter sur son clavier et il lui accorda aussitôt toute l'attention dont elle avait besoin en se demandant ce qu'elle avait envie de lui dire. Il sourit devant sa question et se rappela ces moments passés à l'infirmerie avec une musique d'ambiance qui lui plaisait. Il y avait une chose qui était certaine, c'était que le Docteur avait toujours eu un certain goût pour la musique.

« Je pense que la musique classique, et en particulier la musique d'opéra auront toujours ma préférence. J'adore les grands opéras italiens. Et toi ? Qu'est-ce que tu préfères ? »