Aucune muse n'aurait pu être plus fière d'accueillir parmi ces sœurs celle que la vie, et surtout cette île, avait mis dans la vie de Euterpe. Quand elle s'était réveillée, il n'avait pas été question pour elle de laisser sa petite sœur toute seule abandonnée. L'enfant n'était peut-être pas sa véritable sœur, mais elle l'aimait tout autant que si c'était le cas et elle estimait que la responsabilité de prendre soin d'elle lui était tout autant dévolue maintenant qu'avant qu'elle se souvienne qui elle était. Elle avait accepté d'en prendre la responsabilité dans ses souvenirs et il était hors de question que cela change.

Mais la petite fille avait tout pour être la sœur des muses. Douée de musique, elle était aussi passionnée par d'autres aspects de la culture. Elle avait lu de nombreux livres en braille, ou les avait écoutés en livres audio. Elle adorait les étoiles et avait passé beaucoup de temps avec Uranie au dernier étage depuis le début. Elle était probablement trop timide pour faire partie des conquêtes de Thalie pour le spectacle, mais ça n'avait pas empêché la concernée de l'adopter comme tout le reste de la fratrie. Elle faisait totalement partie de leur univers à toutes.

Elle était toutefois plus particulièrement importante pour la muse de la musique, qui avait ce sentiment fort de responsabilité envers l'enfant. C’était donc avec un regard bienveillant qu'elle tournait la tête dans la direction d'où provenait le son du violon qu'elle était en train de travailler, parce qu'elle n'avait pas école. Elle passait beaucoup de temps à travailler sa musique et Euterpe en été très fière. Elle allait sûrement se retrouver propulsée sur le devant de la scène et produire un spectacle d'une grande qualité le moment venu. Elle en était certaine.

Soudain, la musique se tut et la jeune femme se rendit compte qu'il était proche de l'heure du goûter. La petite avait sûrement arrêté pour venir prendre son goûter et sa sœur aînée se rendit à la cuisine afin de lui préparer un bon chocolat chaud avec des tartines beurrées. Elle devenait un peu âgée pour ce genre de choses, en théorie, mais en pratique, ça arrivait encore régulièrement à Euterpe de lui en préparer, sachant que la petite gourmande y trouvait là beaucoup de plaisir. Or, c'était quelque chose qu'elle tenait tout particulièrement à faire que de faire plaisir à sa petite sœur.

Mais celle-ci ne la rejoignit pas dans la cuisine, et elle ne reprit pas non plus son violon. La demoiselle en était sûre car elle n'entendait rien et elle avait l'oreille suffisamment fine pour pouvoir l'entendre de loin si c'était le cas. Elle s'inquiéta donc et se dirigea vers la chambre où l'enfant répétait, désireuse de s'assurer qu'elle allait bien et de l'inviter à venir prendre son goûter si elle avait faim. Elle frappa à la porte de sa chambre en l'appelant, sachant très bien qu'elle pouvait l'entendre, même si elle ne pouvait pas lui répondre.

« Violetta ! Violetta, tout va bien ma chérie ? N’as-tu pas faim ? Je t'ai préparé un goûter. »

N’obtenant rien qui pourrait correspondre à une réponse, même indistincte, Euterpe poussa la porte pour apercevoir la fillette recroquevillée sur le sol dans un état apparent de panique. Elle avait raison quant au fait qu'il s'était passé quelque chose, elle n'avait aucun moyen de savoir de quoi il s'agissait. Soudainement inquiète, elle se précipita pour s'accroupir auprès de sa petite sœur, une main sur son dos, en essayant de comprendre ce qui pouvait bien la mettre dans cet état. Elle était à peu près sûre que c'était quelque chose de grave, même si elle ne parvenait pas à comprendre ce qui s'était soudainement passé.

« Je suis là, ma chérie. Tout va bien. Je suis là. Raconte-moi ce qui te tourmente. »